Dans le cadre du Salon du Livre de Québec, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs auteurs venus lire des extraits de leur roman, ou bande dessinée, dans mon petit local. Le samedi, j’avais rendez-vous avec Benoit Feroumont, bédéiste notamment connu pour la série Le Royaume, et j’étais un peu effrayée parce que j’avais lu qu’il se comparait parfois à un ours. Heureusement, il s’est révélé fort sympathique et a même accepté de nous « lire » un extrait du Royaume à découvrir au bas de l'article ! Voici l’entrevue qu’il m’a accordée.
Toujours, oui. À un moment donné toutefois il y a eu un plan B. parti J’avais dix-huit ans et lors de la réunion de fin d’études avec les professeurs, ils ont dit : « Il est créatif, il est curieux, il dessine, mais il lui faut un métier. » J’ai donc choisi publicité et marketing. Mais pendant l’été j’ai discuté avec un gars qui était à Liège en publicité et il a simplement laissé tomber ces phrases : « Ah, tu vas en publicité? Tu es sûr? » Cette simple question m’a fait réaliser que non, en fait, je n’étais pas sûr. J’ai dit à mes parents que je n’irais pas en publicité, mais en dessin. Je suis allé à St-Luc, à Liège, dans la section illustration et bande dessinée. Et il n’y a jamais eu de plan B depuis. Je me suis toujours dit : « Même si je suis sur la rue, il y a au moins le dessin. »
Oui, finalement j’ai fait beaucoup de publicité *rire* et je gagne ma vie avec le dessin. J’ai deux enfants, une femme, une belle maison à Bruxelles, voilà. Je grogne de temps en temps, mais je suis heureux.
Le Royaume est né d’une proposition du nouveau rédacteur en chef de Spirou, Frédéric Niffle, il y a sept ans. Il cherchait à réunir une nouvelle équipe et m’a contacté. À cette époque, je sortais de la production d’un court-métrage d’animation et il m’a proposé de le redessiner pour animer les pages du magazine, mais je ne voulais pas refaire cette histoire parce que ça faisait trois ans que je travaillais dessus. Par contre, ça m’a donné l’idée du Royaume parce que j’avais fait plein de recherches graphiques pour les décors et qu’on avait utilisé à peine dix pour cent de l’ensemble. Alors j’avais ce matériel, cet univers complètement construit et je me suis dit que je pouvais en faire quelque chose.
Généralement on fait un peu l’inverse, mais là je suis parti du décor. Et la première chose que j’ai dessinée, c’est le vieux Joseph qui se fait insulter par les oiseaux. Je me vois encore le dessiner et écrire « Vieux con » au-dessus des oiseaux. Ça m’a tellement fait rire que j’ai eu envie de continuer !
Clairement les personnages. Il a fallu longtemps avant que je sois vraiment à l’aise avec les décors. D’ailleurs ça ne remonte qu’à l’année passée. Je me suis dit : « Allez, cette fois-ci ce sera vraiment le décor le héros et plus l’histoire. » C’était au moment où j’explorais des ruelles du Royaume et là j’ai eu une sorte de déclic. Généralement je m’en sors avec deux ou trois lignes, ce qui fait le désespoir de ma coloriste, qui est aussi mon épouse, mais là je voulais aller plus loin.
Oui, et ça cause d’ailleurs des problèmes. *rire* Des fois je dis : « mais non, ça ne va pas ! » et c’est le début d’une longue discussion ! Je lui demande toujours de faire des couleurs irréalistes, de prendre des décisions quasi sauvages. Je serais pour qu’on mette un arbre en bleu pour peu que ça ait du sens. Mais elle est contre : « les feuilles c’est vert, un tronc c’est brun. » *rire* Tout le débat est là. Mais bon, on a trouvé une méthode de travail qui fonctionne vraiment bien.
C’est fait de façon indépendante. Le scénario est une activité en soi, tout comme le dessin. Puis le dessin. Quand je dessine, je peux écouter la radio ou de la musique, mais pour scénariser, il faut que ce soit dans un cadre précis. Soit dans un brouhaha, par exemple dans un coin du Salon du Livre, ou alors dans une sorte de silence religieux avec Glen Gould qui joue les préludes de Bach. Sans rire, c’est quasiment indispensable. Dans ces conditions-là, je suis super content.
J’étais fort timide à l’adolescence. À douze ans, j’étais un peu le chef de la bande et puis à partir du moment où les filles sont entrées dans l’équation, je suis devenu hyper timide. Je l’ai compris en allant dans un camp de vacances une année. Je me disais : « super, du ski, des copains! », mais quand je suis entré dans ce train, j’ai vu qu’il y avait un vrai problème parce que, comme il y avait des filles, je n’arrivais plus à ouvrir la bouche.
Pas du tout. J’étais très timide et j’en concevais une grande angoisse. Je me suis soigné tout seul en me forçant à prendre la parole dès que je le pouvais, par exemple au théâtre. Au fur et à mesure, je me suis armé.
Ah oui ! C’est culturel, tous les Belges consomment plus ou moins de bandes dessinées, mais mes parents étaient abonnés au magazine Tintin et mes grands-parents recevaient les gros recueils Spirou. Par ailleurs, mon père était grand fan de Blueberry et on avait une belle bibliothèque.
Maintenant je lis plus de romans que de bandes dessinées. Je ne sais pas pourquoi, mais je me lasse un peu de la bande dessinée. À un moment on pouvait la suivre, maintenant c’est impossible et je perds un peu pied. Il y en a trop. Comme lecteur, je ne m’en sors pas. Je fais comme avec les romans, j’ai besoin de conseils. Soit d’un libraire, soit d’un journal ou d’une émission de radio.
Là, je suis dans une phase où je lis plus de romans. Je viens de terminer Un membre permanent de la famille de Russell Banks, un recueil de nouvelles qui parlent généralement de gens assez normaux (ça fait du bien ! Quand on va au cinéma avec tous les Marvel, on est loin de la normalité…), dont une très belle histoire à propos d’un type qui reçoit un cœur en transplantation. Et la petite amie du donneur cherche à prendre contact avec lui… génial !
Je ne sais pas. En tout cas, une des raisons pour lesquelles ce bouquin de Banks m’a plu, c’est qu’il évoquait dans ma tête des images très claires et très précises. Mais généralement, pas nécessairement.
Pour l’instant, j’ai fait une pause pour faire un « Spirou par », puis un livre pédagogique de la collection des Que sais-je version bande dessinée. J’avais demandé de faire soit de la sociologie, parce que j’aime ça, soit de la physique quantique, parce que je ne capte rien et que je me suis dit que j’apprendrais quelque chose. Finalement, je travaille avec Nathalie Heinich sur l’art contemporain. Quel est le public, quel impact cet art peut avoir sur le monde et, surtout, comment les artistes de l’art contemporain peuvent s’en sortir pour gagner leur vie… ou pas. Et je me rends compte que l’artiste contemporain peut aussi être l’auteur de bande dessinée. Les schémas collent tout à fait !
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