J'ai rencontré Patrick Loranger au Salon du Livre de Trois-Rivières et il m'a tout de suite semblé sympathique. J'ai donc établi un premier contact avant même de lire le premier livre de la trilogie des
Ornyx, L'éveil, et il a été très ouvert quand je lui ai demandé de m'accorder une entrevue sur les thèmes de l'inspiration et de ses choix d'auteur!
Quelles ont été les sources de votre inspiration?
Ma jeunesse est une source inépuisable d'idées. J'ai toujours eu beaucoup d'imagination et de créativité pour inventer des jeux et des histoires. Mes amis et moi vivions déjà des péripéties exceptionnelles, juste en jouant dans la forêt et dans les installations désaffectées qui entourent notre ville. Quand nous ne pouvions pas sortir, par mauvais temps ou en punition, nous inventions alors des aventures encore plus folles dans des lieux imaginaires. Nous jouissions d'une grande liberté intellectuelle et rien ne pouvait nous arrêter ! Le plus drôle, c'est que les adultes nous voyaient sages comme des images... Mais ne le dites pas à mes parents !
Les gens que j'ai rencontrés sur mon chemin m'ont également inspiré. Gardiennes, professeurs, voisins, amis, animateurs louveteaux, collègues de travail et confrères de classe, ils ont laissé une empreinte dans ma mémoire et sur mon caractère, ne serait-ce que certaines de leurs expressions...
Comment est venue l'idée des Ornyx?
Dans ma jeunesse, j'avais la vision d'un être de lumière aux intentions bienveillantes, qui était là pour guider les gens et les protéger contre des forces obscures qui rôdent entre la vie et la mort. Je savais déjà que nos yeux ne peuvent voir qu'une partie de ce qui nous entoure. La terre a une aura d'énergie, de même que tous les êtres qui y vivent.
Durant mon adolescence, j'ai développé le concept de cet être lumineux et l'ai rendu capable de se matérialiser sous la forme qu'il voulait. En lisant de la mythologie religieuse et en imaginant des aventures, j'ai défini des personnages, alliés ou adversaires, et j'ai bâti une première histoire, assez naïve, si vous voulez mon avis.
Le nom « Ornyx » est arrivé bien après. C'est un dérivé d'Ornithoïde (en référence à humanoïde), la forme matérielle que j'avais inventée pour mes êtres de lumière. J'ai perfectionné mon histoire et l'ai écrite sous forme d'une courte légende, que je racontais à mes copains autour du feu de camp.
Amateur de jeux de rôles, j'ai créé un jeu à partir de ces concepts et de ces personnages. J'impliquais souvent les Ornyx dans les aventures que je faisais vivre à mes joueurs. Quand j'ai permis à certains d'entre eux d'en incarner un, chaque Ornyx en est venu à avoir sa personnalité propre. À chacun des Ornyx correspond un joueur. L'idée s'est donc perfectionnée à mesure qu'on jouait et jamais je n'aurais pensé en tirer un roman...
Avez-vous pensé longtemps à cette histoire avant de la coucher sur papier?
Je n'ai écrit cette histoire qu'en 2004, alors que j'étais au chômage. Plusieurs personnes m'en avaient fait la demande, prétextant que mes histoires étaient passionnantes et qu'elles valaient la peine d'être immortalisées. J'avais 30 ans et mon histoire avait presque mon âge... Elle avait donc atteint la maturité requise pour être écrite.
Travaillez-vous à partir de plan? Si oui, qu'est-ce que cela vous apporte? Si non, vous arrive-t-il de vous perdre dans votre écriture?
Quand j'ai écrit le premier tome (l'éveil), je n'avais pas besoin de plan. Mon histoire était dans ma tête. Je savais où je m'en allais, je n'avais qu'à raconter ce qui se passait au fur et à mesure que je le revivais dans ma tête. J'écrivais jour, soir et fin de semaine. Il m'a fallu six semaines pour l'écrire, en travaillant en continu, tous les jours. J'ai ensuite retravaillé le texte, mais l'histoire est restée telle quelle malgré onze ré-écritures.
Dans le cas du tome 2, il m'a fallu créer un plan pour développer l'histoire, car je travaillais à temps partiel. Ce fut un casse-tête car j'avais des éléments invariables à inclure dans le scénario, notamment une fin décidée d'avance (relatée dans le tome 1). Ce fut le plus difficile à écrire des trois tomes. Il m'a fallu quatre ré-écritures pour en obtenir satisfaction.
Pour le tome 3, j'avais déjà une bonne partie de l'histoire en tête, puisqu'il s'agit d'une suite immédiate du tome 1. J'ai bâti le plan à mesure, pour éviter de me mêler dans mes personnages. Je l'ai écrit en trois mois et je n'ai fait qu'une seule ré-écriture.
Pourquoi avoir choisi de situer l'intrigue à Shawinigan?
Je suis sûr qu'on m'aurait posé la même question si j'avais situé l'action ailleurs... Pourquoi un lieu plutôt qu'un autre ? Quand mon éditeur m'a posé la question, j'ai décidé d'inclure la réponse dans le tome 3 ! Alors il vous faudra le lire pour le savoir...
Qu'est-ce qu'apporte le format de la trilogie en comparaison à un seul roman?
Ça donne de la place pour développer une histoire rocambolesque et une toile de fond intéressante ! Au départ, je souhaitais faire un livre unique, mais l'histoire s'est amplifiée d'elle-même. Mes personnages étouffaient et avaient besoin d'espace. Je sentais qu'il me fallait expliquer les événements par ce qui les avait causés, au lieu de simplement dire que c'est arrivé parce que c'est arrivé. Je travaille beaucoup sous forme d'enquête, de démonstration, en utilisant les liens de cause à effet et la notion de preuve. J'aime à justifier les actions des personnages par leur passé.
Comment définiriez-vous votre style d'écriture?
J'écris dans une prose simple et imagée, en veillant à utiliser le mot juste à sa juste place. J'ai encore des problèmes avec les répétitions, mais j'y travaille. L'expérience me permettra d'en venir à bout. Je fais beaucoup appel aux sens, surtout le visuel et la perception spatiale. En lisant mes textes, on voit ce qui se passe, on sait où ça se passe et on se fait une bonne idée de l'allure des personnages. Ceci dit, je ne m'encombre pas de détails auxquels je n'attache pas d'importance, comme des descriptions physiques à n'en plus finir. J'aime les jeux de mots et je glisse parfois des subtilités dans le texte, que seul un oeil avisé saura déceler...
Sur le plan du rythme, j'aime les phrases courtes. Cela ne m'empêche pas de pondre des phrases trop longues, à l'occasion, quand le contexte le requiert et que mon imagination débridée se laisse aller... Quant à mes histoires, elles sont issues d'un savant mélange de science-fiction, de fantasy, de fantastique, de roman policier et d'aventure. En fait, il a fallu réunir un comité pour déterminer dans quelle catégorie on allait classer ma trilogie.
Lisez-vous beaucoup de fantastique vous-même?
Je lis de tout, j'ai des goûts assez variés. J'aime beaucoup les ouvrages de vulgarisation scientifique. Il faut juste que ce soit intéressant, et de façon constante. Si je m'ennuie un peu trop longtemps, je ferme le livre et il est rare que j'y revienne. Mon écriture est construite en fonction de ce critère. Je suis un lecteur difficile.
Quel public essayez-vous de rejoindre?
J'écris pour moi, en fonction de mes goûts et de mes critères. J'écris ce que j'ai envie de lire. J'essaie de pondre le livre que j'aurais aimé lire quand j'étais à l'école. Tant mieux si le public embarque !
Est-ce difficile d'écrire pour un public adolescent?
Je ne me suis jamais posé la question. Si les ados aiment autant mes livres, c'est peut-être que j'en suis encore un, emprisonné dans mon corps d'adulte...
Pourquoi avoir choisi d'écrire de la littérature jeunesse?
Ce choix ne vient pas de moi. J'ai d'abord écrit le livre, et on a décidé ensuite que ce serait pour la jeunesse. La décision s'est prise au niveau de l'UNEQ, quand on m'a admis au programme de parrainage. Il fallait décider quel écrivain allait me parrainer.
Quelle est l'importance de faire reposer le fantastique sur la science dans ce que vous écrivez?
C'est un critère très personnel, mais ça apporte de la vraisemblance à une histoire qui, autrement, n'aurait pas de crédibilité... Il y a trop d'histoires invraisemblables pour lesquelles l'auteur n'a pas pris la peine de se renseigner. La démarche scientifique vise à prouver tout ce que l'on avance par des observations, des faits vérifiables et des démonstrations. En appliquant cette démarche dans le cadre de l'écriture, on obtient un roman qui se tient debout (dans tous les sens du terme !).
Étiez-vous un grand lecteur à l'adolescence? Et maintenant?
Entre les âges de 11 ans et de 17 ans, je lisais près de trois livres par semaine. Je les dévorais l'un après l'autre, souvent deux ou trois en même temps. Je les finissais tous, même quand ils m'ennuyaient. J'ai dû en abandonner seulement un ou deux, car ils étaient vraiment minables, mais je ne me rappelle pas des titres.
Maintenant que je travaille à temps complet, que j'écris, que j'anime des ateliers dans les écoles et des ateliers de jeux de rôles, que je m'occupe des scouts, ma consommation de littérature en souffre quelque peu. J'ai toujours un livre sur ma table de chevet, mais il peut me durer entre une semaine et six mois, pour les plus gros volumes...
Qu'est-ce qui vous a amené à la lecture? Comment cette personne a réussi à développer ce lien entre vous et les livres?
La lecture a toujours fait partie de ma vie et je n'ai pas souvenir d'une « première fois ». À la maison, on m'offrait des livres pour mon anniversaire, pour Noël et à chaque occasion, spéciale ou pas. On n'avait pas besoin d'une raison pour m'offrir de la lecture. Ma gardienne et ma grand-mère me lisaient une histoire, le soir, avant que j'aille dormir. Puis j'ai appris à lire à l'école, et le reste s'est fait tout seul. Il faut dire que je suis curieux de nature et il fallait souvent renouveler le stock !
Mon voisinage se plaît à me rappeler la passion que j'avais développée pour les dinosaures, en bas âge. Je connaissais tous les noms, leur régime alimentaire, leur poids, taille, bref, tout ce que je pouvais retenir. Ma passion s'est vite étendue à tout le règne animal, puis à la science en général. Il y a de quoi inciter à lire, non ?
Comment peut-on amener des adolescents à lire?
Il faut intéresser les enfants en bas âge. Il n'est jamais trop tôt pour les stimuler avec des sons, des couleurs et des images. Si on attend l'adolescence, il est bien plus difficile de les intéresser. Un enfant qui n'a pas lu deviendra un ado qui ne lit pas et un adulte auquel il manque une certaine culture.
Si on a passé tout droit, il ne faut pas se décourager pour autant. Un ado a toujours des intérêts, même cachés. Il suffit de les découvrir. Que ce soit la moto, les voitures, les voyages, la conquête de l'espace ou l'informatique, en passant par la peinture ou le théâtre, si l'on trouve la bonne porte d'entrée, c'en est fini de cet ado inculte ! Mais il faudra y mettre tout l'effort qu'on a omis de mettre quand il était enfant...
Rafale lecture !
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? Pouvez-vous nous expliquer ce lien?
Il faut vraiment que je choisisse un seul mot ?
Pour moi, les livres contiennent la connaissance, la culture, l'histoire. Sans eux, on ne peut pas parler de civilisation ! Ces choses sont essentielles à un être social pour qu'il soit apte à prendre une décision réfléchie, apte à acquérir et transmettre son savoir.
Quels romans ont marqué votre adolescence?
Le tour du monde en 80 jours, de Jules Verne. Je me souviens aussi des livres de Suzanne Martel : Nos amis Robots et Surréal 3000. J'adorais lire Bob Morane. Alfred Hitchkock figurait dans mon palmarès, en particulier ses trois jeunes détectives.
Dans quel endroit préférez-vous lire?
Au lit, avant de m'endormir, ou dans mon fauteuil, au salon. Je lis aussi dans la salle d'attente, chez le médecin ou le dentiste, mais ce n'est pas aussi agréable car je n'ai pas toute ma concentration.
Quel est le livre sur votre table de chevet?
Au moment d'écrire ces lignes, je rêve du soir où je pourrai enfin entamer Suprématie de Laurent Mc Callister. C'est une bonne brique et il devrait me durer tout l'été.
Quel est le livre que vous aimez beaucoup, mais que vous avez un peu honte de révéler?
En fait, j'ai trois dictionnaires des synonymes qui m'aident à travailler sur mon problème de répétitions fréquentes. Mais ne le dites à personne !
Les Chroniques de Narnia, de CS Lewis. C'est un peu moins bon que les Ornyx, mais il y a largement de quoi tenir quelques semaines si vous êtes en manque. Vous devriez aussi lire Les Fourmis de Bernard Werber, de même que Les Thanatonautes.
Je m'en voudrais de ne pas vous recommander l'excellente collection Graffiti de Soulières Éditeur. Les livres de cette collection, à part les miens, plairont à ceux qui aiment les histoires courtes qui se lisent rapidement. Quant aux lecteurs expérimentés qui aiment les romans longs, la saga Harry Potter devrait figurer comme un incontournable.
Merci à Sophie Gagnon pour son entrevue !
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