La littératie expliquée par Clémentine Beauvais

 
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4 avril 2013

Je raffole du site internet de Clémentine Beauvais, auteure jeunesse et doctorante en littérature jeunesse à l'Université de Cambridge, qui propose des réflexions pertinentes sur la littérature jeunesse. Lancée dans un abécédaire autour de concepts tournant autour de ce thème (abécédaire qui est maintenant terminé et que je vous suggère vivement de lire!), Clémentine a traité entre autres de la littératie.

Connaissez-vous la littératie? Pour ma part, si j’en ai entendu parlé dans mes cours universitaires, j’aurais été bien en peine d’expliquer le concept, si bien que j’ai proposé à Clémentine de répondre à mes questions sur le sujet!

Pour commencer, qu'est-ce que la littératie?

Le mot 'littératie' désigne la capacité d'un individu à faire sens des signes et des symboles qui l'entourent. La lecture est une forme évidente de littératie, mais il y en a beaucoup d'autres: on 'lit' aussi les images, les films, les écrans d'ordinateur, etc - et même des choses toutes simples comme les panneaux de signalisation. En fait, la littératie, on pourrait dire que c'est l'intelligence du signe: la capacité à non seulement décrypter, mais aussi comprendre et naviguer le monde des symboles qui nous entoure. Il y a donc en réalité plusieurs types de littératie, selon ce qu'on essaie de comprendre.

Comment se développe-t-elle?

Les différentes formes de littératie se développent au fur et à mesure que l'enfant entre en contact avec les différents 'dictionnaires de symboles' qui leur correspondent. Par exemple, un enfant qui apprend à lire, c'est-à-dire à faire sens des zigouigouis que sont les lettres, à les lier entre elles, à les transformer en phrases, il développe une forme de littératie, la lecture. Mais c'est aussi le cas quand il entre en contact avec, par exemple, les illustrations des albums jeunesse. Il faut énormément d'apprentissage - inconscient en majeure partie - pour comprendre des choses qui nous semblent évidentes: on 'lit' une image de gauche à droite; un personnage qui apparaît dans plusieurs cases de BD sur une même page reste le même personnage; etc.

Et puis bien sûr toutes les formes de littératie ne se développent pas seulement dans l'enfance. Les nouveaux médias requièrent de nouvelles formes de littératie. Tous ceux qui ont déjà essayé d'apprendre à leurs grands-parents à se servir d'un ordinateur en sont témoins: c'est très frustrant! Car souvent les personnes âgées, habituées à des formes traditionnelles de lecture, veulent 'tout' lire sur l'écran: 'Fichier', 'Editer', etc, 'dans l'ordre' de gauche à droite et de haut en bas, au lieu de passer à l'essentiel - alors que nous faisons immédiatement le tri, nous allons directement à ce que nous cherchons, parce que notre littératie informatique est beaucoup plus développée.

Comment peut-on remarquer des faiblesses dans ce domaine?

Il est difficile de parler de faiblesses. La littératie est un domaine presque infini puisqu'il désigne l'intelligence du signe, de réseaux de symboles. Donc personne ne peut prétendre à être familier avec tous ces réseaux! Très simplement, quelqu'un qui est très fort en lecture de cartes ou de plans (et oui, c'est une forme de littératie) peut être nul en lecture d'image.

Mais pour ce qui est des enfants, il est évident que le système scolaire privilégie la forme particulière de littératie qu'est la lecture. L'enfant doit être capable non seulement de lire un texte (de déchiffrer les signes) mais aussi d'en extraire un sens, et de l'utiliser.

Cependant, il est aussi évident et regrettable que l'école privilégie ce monde verbal au détriment du visuel. L'album jeunesse, par exemple, est considéré comme une sorte de littérature de 'transition', qui doit être ensuite 'lâchée' quand l'élève n'a plus à 's'appuyer' sur les images. C'est une erreur énorme! On remarque souvent, à cause de cette idée reçue, que l'enfant pré-lecteur est beaucoup plus fort en décryptage d'image que l'enfant lecteur, qui la délaisse au profit des mots. Or, l'intelligence de l'image est une forme de littératie en tant que telle, qui est absolument cruciale de nos jours. C'est en sachant décrypter les images et le rapport texte-image qu'on devient équipé à faire face à un monde qui nous bombarde d'images parfois manipulatrices.

La littératie informatique est évidemment d'une importance extrême également, et l'école est encore un peu en retrait dans ce domaine, mais c'est aussi et surtout parce que les enfants sont sans doute plus à l'aise avec ce type de lecture que... leurs professeurs.

Peut-on pallier ces faiblesses? Comment?

Pour moi, le domaine le plus urgent, c'est la réhabilitation et la revalorisation du décryptage des images à l'école. Il faut vraiment arrêter de demander aux enfants de 'passer' à des livres sans images: cette injonction suggère que l'image vient 'avant' le texte, or, c'est entièrement faux! il est évident que nous vivons dans un monde de mots ET d'images, de verbal ET de visuel, en même temps. Tant qu'on dira aux enfants que l'image n'est qu'une aide à la lecture, on les privera de la capacité à se montrer audacieux, critiques, intelligents vis-à-vis du matériel visuel qui les entoure.

Personnellement, je pense qu'il faut continuer à faire lire et étudier des albums aux enfants jusqu'à la fin de l'école primaire voire le début du collège; en fait, jusqu'aux classes où la littérature jeunesse en général est toujours enseignée (quand elle l'est...). Il existe de très nombreux albums jeunesse extrêmement sophistiqués dont l'examen est bénéfique pour tous les âges - y compris pour les adultes! Il faut aussi absolument encourager les enfants à lire des bandes dessinées. Les bandes dessinées développent une forme de littératie hybride en proposant des rapports image-texte particulièrement intelligents, complexes et sophistiqués.

L'idéal-de-chez-idéal, ce serait d'avoir des cours de théorie et de critique de l'art visuel comme on a des cours de littérature. Il n'y a aucune raison logique de ne pas enseigner l'histoire de l'art et la lecture et l'interprétation de l'art visuel si l'on enseigne l'histoire et la critique de la littérature. C'est un signe flagrant de la domination du verbe sur l'image dans le système éducatif dans notre civilisation, un déséquilibre qui n'a aucun sens. 

Vous avez trouvé une faute ? Oui, j'en laisse parfois passer. N'hésitez pas à me la signaler à sophiefaitparfoisdesfautes@sophielit.ca et je la corrigerai ! Merci et bonne lecture ! :-)
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Lydiane Côté (04.04.13 à 15 h 10)

Bonjour,
Pouvez-vous me donner l'adresse de son site internet? Merci!

Voici: http://clementinebleue.blogspot.ca/

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