Billet rédigé par Jean-François Tremblay, enseignant
La société change au pays des ogres! De chasseurs, ces mangeurs d’enfants sont passés à éleveurs. Chacun vit alors heureux et sans tracas, avec plusieurs enfants à faire grandir, à divertir, avec qui regarder les étoiles et, oui, un jour, à croquer. Cela aurait pu durer longtemps, mais qui peut arrêter le progrès? Certainement pas l’ambitieux Ventre-Saint-Gris, un ogre brillant et raffiné, qui déteste travailler si fort avec « des petits mal élevés »! Il veut plus de temps, plus d’argent. Finis, les biberons, la cuisine et les journées essoufflantes en plein air! Pour améliorer la qualité de vie ogresque, il fait développer la séparation du travail d’élevage, la mise en cage des enfants et leur croissance accélérée, une bouillie bon marché, des médicaments pour la santé... Devant cette industrialisation qu’il trouve excessive, Ventre Affamé refuse de suivre le mouvement et de vivre ainsi avec ses enfants. Cet ogre maigre poursuit donc une vie différente qu’il tentera de défendre face à sa société tout en luttant contre un nouveau fléau : la maladie de l’enfant fou.
L’Ogre maigre et l’Enfant fou se veut une allégorie de notre société, axée particulièrement sur les dérives actuelles de l’élevage intensif qui a cours sur la planète. Le très court roman illustré peut sembler enfantin de prime abord, mais sa lecture démontre qu’il s’adresse à un très large public.
« Ventre Affamé avait tout de suite rassuré l’enfant. Il n’allait pas le manger. Il préférait goûter sa compagnie, savourer sa présence et dévorer avec lui des recueils de contes et légendes qui les distrayaient du malheur ambiant. »
Je ne me lasse pas de lire la plume colorée et parfois poétique de Sophie Chérer! L’allégorie de L’Ogre maigre et l’Enfant fou est hautement réussie, d’abord par sa vivacité et son rythme débridé. Le lecteur passe de descriptions loufoques à des dialogues sans queue ni tête entre des ogres aux visions différentes de la vie. Et que l’allégorie mette en scène des produits-enfants rend le tout spécialement désopilant. Quelle folie de donner un nom aux enfants plutôt que leur traditionnel numéro attaché à l’oreille droite! Cette idée d’enfants dévorés – qui pourrait sembler choquante, mais qui ne l’est aucunement grâce au ton absurde utilisé par l’auteure – contribue clairement à la puissance de la critique sociale en la teintant d’humour noir. Entre deux sourires amusés, le lecteur fait de nombreux liens avec son monde et ne peut s’empêcher de trouver révoltantes certaines pratiques actuelles. Sophie Chérer gagne de cette façon pleinement son pari : amuser et faire réfléchir!
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