Le petit sorcier de la pluie

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse

Lorsqu’il a appris à marcher, le fils de Kuyu-ma et de Papunya était si pressé qu’il tombait tout le temps « sans prévenir, [tout] comme la pluie ». Cette particularité lui colla si bien à la peau que les gens du pays finirent par l’appeler l’enfant-pluie. Comme l’eau est un élément rare dans les zones désertiques australiennes, son arrivée est toujours bienvenue. Or, cette année là, la pluie ne vient pas du tout. Plusieurs membres du clan tentent alors différentes stratégies pour « chasser le soleil brûlant » : il font appels aux morts, « mais le soleil fâché qu’on veuille le chasser […] devint de plus en plus rouge, de plus en plus chaud ». Ils exécutent ensuite des chants doux pour attirer les hommes-nuages, mais rien n’y fait. Contrairement aux autres, découragés par la situation, l’enfant-pluie décide de prendre les choses en main; après tout, « c’est peut-être [lui] le petit sorcier de la pluie ». Il s’élance à dos d’élan croyant trouver un puits, rencontre des animaux, notamment le « serpent-à-l’appétit-plus-grand-que-l’esprit », puis, à l’aide de pierre blanche et de salive, il décide de peindre des petits gouttes de pluie partout sur son corps. Ainsi, se dit-il « je vais me montrer au ciel tout entier. Il verra ces gouttes sur moi. Elles sont si belles qu’il en sera jaloux. Il voudra les mêmes et il pleuvra ».

Cette vision des peuples aborigènes met en lumière toute l’importance du lien entre les hommes et la terre qui les entoure. Les jours de pluie sont notamment jours de fête. S’ajoute à ces croyances, le courage du héros, sa volonté et sa débrouillardise mises de l’avant pour sauver son peuple de la sécheresse. Les plus grands seront particulièrement intéressés par les mythes mis en scène et par la découverte de l’Autre.

Mon avis

Voilà un album qui a beaucoup à offrir. D’abord, l’initiative du petit garçon est beaucoup plus qu’une leçon de courage. Parti seul pour chercher l’eau nécessaire à la survie de son peuple, il revient en conquérant, le dos chargé de nuages gorgés d’eau. Cette aventure l’aura fait grandir et lui aura permis d’être reconnu au milieu du clan. Plus encore, Carl Norac a su mettre en scène différents mythes de la culture entourant l’importance de l’eau. Le serpent que rencontre le petit sorcier en est un central. Dans la mythologie aborigène, le serpent arc-en-ciel habite les points d’eau et contrôle la ressource. Croyant arrivé à un puits, Petit sorcier découvre plutôt ce serpent, enroulé sur lui-même. Prétentieux et fort de sa réputation, il demande au garçon de l’admirer, ce que ce dernier refuse de faire lui enfonçant plutôt un bout de bois dans la gueule. Le gardien étant hors de contrôle, Petit sorcier peut continuer sa mission.

Anne-Catherine De Boel, reconnue pour ses illustrations dépeignant des univers africains, a su respecter l’univers et la culture mis en mot par Norac. Grâce aux couleurs, notamment l’ocre, à l’intensité du noir contrastant avec le blanc de la pluie, grâce au respect de l’art aborigène, les lecteurs seront transportés directement dans cet ailleurs riche en culture. L’univers des humains alterne avec celui de l’art, mêlant figures animales mythiques, telles la tortue, le kangourou, le crocodile présentés sur des fonds qui imitent la mosaïque. Une lecture ne suffit pas à découvrir tout ce qui se cache dans ces pages. Fameux.