Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste de la littérature jeunesse
Elles sont trois femmes, trois générations, en marche vers ailleurs, « toujours plus loin, pour trouver de l’eau » parce que là où elles sont « les vaches sont mortes », faute de pluie, de nourriture. « Elles n’ont pas fait de trou en tombant. Elles sont restées posées dans la poussière et se sont mises à puer. » Afin d’échapper à ce même destin, ce sort probable, les femmes s’embarquent sur un radeau de fortune, quittent tout, misère et guerre, tout comme l’amour infini d’un pays, emportant pour « seul bagage, la force extraordinaire de vivre encore. »
Les thèmes de l’exil, mais aussi de la terre d’accueil, de la réalité difficile vécue par les émigrants participent de ce récit empreint d’espoir. L’actualité du sujet est présentée ici de façon nouvelle et poétique, combinant silence, force du propos et de l’image. Les plus grands apprécieront particulièrement cet angle singulier qui met en lumière la question des réfugiés.
Au-delà du sujet tout à fait pertinent, et dont on ne parlera jamais assez en littérature jeunesse, le graphisme de l’album compte pour beaucoup dans l’évocation du thème. D’abord très peu de mots accompagnent le récit. Quelques phrases, très courtes, treize au total, posées au bas de certaines pages comme pour soutenir, encourager d’une certaine façon, ces personnages dans leur destinée. Peu de mots qui, par leur simplicité, respectent le silence lourd de ces humains, de ces femmes déracinées, dépossédées.
Le texte laisse ainsi toute la place à l’évocation des illustrations qui n’ont rien de communes. Christian Lagrange offre en effet ici des personnages sculptés dans la glaise, produisant un effet de réel saisissant. Sur fond blanc, noir ou, gris, la glaise dans laquelle elles sont modelées parle d’elle-même. Les trois femmes transportent avec elle cette terre mère à l’autre bout du monde. Un monde immense, gris, peuplé de gratte-ciel et pluvieux. La pluie, qui reste source de renouveau et donc d’espoir.
Un album qui gagne à être lu, bien sûr, mais surtout attentivement et lentement regardé. On s’arrêtera sur chacune des pages, comme on avance avec ces femmes, pas à pas, vers un demain incertain, mais que l’on espère lumineux. Le silence qui émane de l’album porte avec lui toute la résilience de ces familles exilées.
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