Quand elle s’aperçoit que son petit frère a disparu avec Brouillard, le cheval venu d’ailleurs qu’elle a apprivoisé et caché pendant un an, Alma comprend que c’est à elle de retrouver Lam. À elle de briser la barrière invisible que ses parents ont créée autour de la vallée où ils ont grandi, protégés, pour retrouver celui qui s’en est allé. Mais de l’autre côté de l’eau et des falaises, il y a l’Afrique de l’esclavage, avec ceux qui cherchent des hommes, des femmes et des enfants à vendre, ceux qui les achètent, ceux qui les transportent.
Un monde dont a fait partie leur père, Mösi, mais qu’il a quitté tout en en connaissant encore parfaitement les codes.
Dans ce monde, il y a le capitaine Gardel, qui dirige d’une main de fer la Douce Amélie pour le compte de son armateur, Brassac. Il y a Joseph Mars, adolescent embarqué sur le bateau par la ruse et sur lequel Gardel a trouvé un mystérieux message du célèbre pirate Luc de Lerme. Il y a encore le charpentier Poussin, qui a tant perdu déjà et qui a le cœur bien doux pour la tâche qui l’attend. Et aussi Amélie, la fille de l’armateur, qui perd tout en une seule nuit et refuse le destin qu’on cherche à lui imposer.
Une multitude de personnages, tout autant de routes qui se croiseront au fil des pages.
Timothée de Fombelle entraine ses lecteurs sur la piste de la traite des noirs à la fin du 18e siècle avec ce roman foisonnant qui présente une large galerie de personnages et flirte avec le fantastique dans une intrigue touffue et exigeante, ponctuée des illustrations en noir et blanc de François Place. Pour les grands lecteurs.
Il y a eu une polémique autour de ce roman, écrit par un auteur blanc à propos d’une histoire fondamentalement noire, et je me suis questionné au départ sur l’appropriation culturelle potentielle, mais il a suffi de quelques lignes pour que le souffle de Timothée de Fombelle m’emporte dans la vallée d’Isaya auprès d’Alma, de Lam et de leurs parents, que la magie opère. Puis le roman s’ouvre, la Douce Amélie fait son apparition avec l’ombre de son chargement à venir, et on sent tout de suite que l’auteur, qui a vécu en Afrique dans sa jeunesse, a porté longtemps en lui cette histoire et qu’il y a une grande délicatesse dans sa façon de présenter ce qu’il va raconter, un amour pour ses personnages, tout particulièrement ceux d’Alma et de sa famille, une désapprobation pour ce circuit de l’esclavage qu’il met en scène avec un grand souci de justesse. De nouveau, il déploie une intrigue tentaculaire : la séparation de la famille d’Alma et les secrets de son père, la quête de Joseph Mars, celle de Poussin, les machinations d’un homme mystérieux à Paris, la chute d’Amélie et son départ, le tout à travers le récit de la Douce Amélie et de son chargement, dans ce premier tome, de centaines d’esclaves. Et si on sent qu’il y a eu une solide documentation, on ne tombe jamais dans le didactique, tout l’apprentissage, toute l’information coulant de source entre les lignes du récit.
Encore une fois, Timothée de Fombelle montre que la littérature peut sensibiliser à tes thèmes terribles, nous raconter l’horreur et nous la faire ressentir sans tomber dans le dégout, marchant sur un fil pour nous garder captifs de cette histoire dure, mais à la fois magnifique, notamment grâce à la légende des Oko, dont Alma et sa famille semblent être les derniers descendants.
« Chez les Oko, le mot « alma » signifie « libre ». Mais ce genre de liberté n'existe dans aucune autre langue. C'est un mot rare, une liberté imprenable, une liberté qui remplit l'être pour toujours. Le père d'Alma raconte que chez lui, ce nom pourrait se dire ‘marquée au fer rouge de la liberté'. »
En bref ? Une écriture qui coupe le souffle, un récit qui captive et une seule hâte : lire la suite, L'enchanteuse !
Sophielit est partenaire des Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Cliquez ici pour plus d'informations sur ce partenariat.
Nouveau commentaire