L'homme qui court

Billet rédigé par Eve Patenaude

Pour un projet scolaire, Joseph doit produire le portrait de la personne de son choix. Alors qu’il tond la pelouse chez sa voisine, celle-ci propose au garçon de prendre son frère Tom pour sujet. Tom Leyton… un homme dans la cinquantaine qui vit reclus depuis des années dans la maison familiale, aux crochets de sa sœur. Un homme sur qui courent les plus troublantes rumeurs et qui terrifie Joseph. Pourtant, malgré sa première idée, il finit par accepter la proposition, histoire de prouver à la médisante madame Mossop qu’il n’est pas aussi lâche qu’elle le prétend. La première entrevue entre le garçon et Tom Leyton est glaciale : c’est à peine si l’homme lui adresse la parole. Il semble marqué au fer par une douleur secrète que même sa propre sœur n’a pu parvenir à effacer. Au fil de leurs rencontres cependant, une certaine complicité s’installe entre les deux personnages qui se découvrent à travers l’élevage de vers à soie, activité à laquelle Tom Leyton initie Joseph. Le garçon lui parle de ses cauchemars habités par l’Homme qui court, cet énergumène qu’il a croisé à plusieurs reprises et qui fuit, les yeux fous, quelque chose d’invisible au reste du monde. Tom Leyton lui révèle quant à lui quelques bribes des horreurs qu’il a connues au Vietnam, de son passé de professeur. Et plus il le connaît, plus Joseph espère réussir à mettre un peu de vie dans le regard du portrait qu’il dessine.

Ce roman réaliste aborde avec beaucoup de doigté les thèmes de la différence, des blessures, de la peur de l’autre et des conséquences du mépris. Il ne comporte à peu près pas d’action, l’intrigue se tissant autour de la relation qui se développe entre Joseph et Tom Leyton. Il intéressera les lecteurs intermédiaires ou experts.

Mon avis 

Le roman s’ouvre sur une scène qui montre Joseph aux funérailles d’un homme. Durant toute notre lecture, on se demande de qui peut-il bien s’agir : de Tom Leyton ou du père de Joseph, parti travailler en Nouvelle-Guinée? Ce questionnement est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du lecteur, rehaussant d’une tension dramatique un récit où somme toute, il ne se passe pas grand-chose sur le plan de l’action. Mais côté émotions, on est très bien servi. Le sentiment de deuil nous hante, on sait que l’un des deux hommes va mourir… Et l’on réalise rapidement que peu importe lequel ce sera, on aura le cœur brisé. Car Tom Leyton a su nous émouvoir avec sa souffrance, et Joseph aussi, avec sa fragilité et sa culpabilité. Qu’il perde l’un ou l’autre sera terrible.

L’Homme qui court est une histoire de miracles. Tout au long de ma lecture, je me questionnais sur les propos défaitistes de Tom Leyton, sur leur acceptation par Joseph. N’est-ce pas au fond un roman rempli de désespoir, à ne pas placer entre les mains des pessimistes? Mais j’ai compris à la fin que ce négativisme ne servait que de tremplin pour un espoir qui prend alors encore plus de sens. Comme si plus profondément on s’est enfoncé dans l’obscurité, plus le ciel paraît lumineux lorsqu’on le retrouve.

La métaphore filée des vers à soie est riche de sens, pertinente, magnifique. La finale bouleversante m’a fait pleurer… Bref, un très beau roman.

Thomas de chez Bayard en parle aussi ici !

Si vous avez aimé, vous pourriez être tenté par Le cri de Léa et Les larmes de l'assassin. 

Merci à Bayard pour le roman!