Le pirate et le gardien du phare

Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse

Grand Jacques, un vieux gardien de phare, coule des jours heureux entouré de la mer et des goélands. Chaque soir « quand la nuit tombait, il contemplait le lent mouvement de la nuit envahir l’espace. Au fur et à mesure que les étoiles s’allumaient, un frisson de bonheur se dandinait le long de son cœur […] Son moment préféré était arrivé. Grand Jacques craquait une allumette […] Et, tout d’un coup, comme une fusée, la tour s’embrasait et le phare ouvrait son œil éblouissant. »

Cette quiétude prend toutefois fin un soir alors que Barbe Rousse vient lui dérober la seule chose qui lui manque, en l’occurrence le secret du bonheur. Embêté par la demande, Grand Jacques lui répond candidement que le bonheur est tout simple, dans chaque geste de son quotidien. Mais cette réponse déplait au corsaire, qui lui lance un défi. Si le gardien réussit à répondre à trois questions – assez pointues – le terrible lui laissera la vie sauve; sinon, c’en sera fini pour lui.

Cette histoire, inspirée d’un conte traditionnel intitulé Le Meunier sans souci, s’apparente fortement au conte facétieux, valorisant la débrouillardise d’un héros humble et ridiculisant le puissant. Si l’histoire peut enchanter les petits par la présence de personnages plus grands que nature, les adolescents y trouveront un texte fort qui remet à l’honneur les thèmes de la ruse, des stratagèmes bien ficelés et, bien sûr, du courage.

Mon avis

À l’origine, cette histoire se déroulait non pas dans un phare, mais bien dans un moulin à vent. La mer et Barbe rousse étaient quant à eux remplacés par un roi et un champ de blé. N’est-ce pas le propre du conte de se modifier au gré des conteurs et du temps ? Chaque conteur privilégiera des détails, des épisodes délaissés par d’autres. Les variantes participent de la vie des contes et c’est ainsi que leur couleur varie.

L’audace de Simon Gauthier est, en ce sens, payante. Son récit fonctionne, les personnages sont bien menés et le décor parfaitement campé. Le lecteur plus pragmatique sera sans doute éberlué par la manière dont le Gardien et son assistant se défont de Barbe Rousse, le tout survenant sans annonce et relevant d’un exploit digne du conte fantastique, mais le conte a tous les droits, surtout celui de nous étonner.

À l’écriture poétique de Gauthier s’allient les illustrations enveloppantes d’Olivier Desvaux, qui ajoutent à l’ambiance de l’ensemble. La quiétude du Gardien s’exprime grâce à des couleurs chaudes, que ce soit des ciels rosés ou la lueur réconfortante du phare, tandis que l’arrivée du pirate nous plonge dans des atmosphères sombres et troublantes. Il faut voir notamment le phare éclairant la haine et la grandeur menaçante du corsaire. Les différents angles et points de vue – l’illustrateur jouant constamment entre les gros plans, les vues en plongée, contre-plongée et les plans éloignés – dynamisent le récit et enrichissent le contenu. À découvrir.