«- Qu’est-ce que ce salaud de SS a pu lui faire vivre pour qu’il soit dans cet état?
– L’enfer, répond Halina d’une voix calme. Ils nous ont tous fait vivre l’enfer.»
Munich. Été 1945. Quand un garçon anonyme est retrouvé dans les décombres de la ville et amené à l’orphelinat, les Alliés le nomment Josh. Blond aux yeux bleus, parfait produit allemand, il en a aussi les réflexes, son bras droit voulant sans cesse de se tendre pour Hitler. Mais son histoire est beaucoup plus compliquée, comme le montre le tatouage sur son bras. Ses numéros. Il est passé dans un camp. Mais quelle est son histoire? Et comment se reconstruire dans cet orphelinat où se retrouvent des enfants aux histoires aussi variées…
De nouveau, Sarah Cohen-Scali s’intéresse à la situation dramatique des enfants qui ont subi le programme Lebensborn durant la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi aux autres. À tous ces orphelins qui se retrouvent démunis dans un pays qui n’est plus en guerre, mais où la rage existe toujours. Sourde. Couvant, attendant de pouvoir se déverser. C’est un récit écrit sans compromis, avec des scènes très dures qui visent un public avisé. Mais c’est aussi un devoir de mémoire nécessaire.
Max m’avait bouleversée. Parce que se mettre dans la peau d’un enfant élevé dans le programme Lebensborn était particulièrement troublant, parce que sa construction était forte, parce que c’était mon premier contact avec le terrible programme imaginé par Himmler. Cette nouveauté autour du même thème était donc prometteuse et, si on peut lui reprocher d’être un peu plus lente par moment, de contenir certaines longueurs, elle n’en reste pas moins marquante.
En fait, Orphelins 88 commence là où Max s’arrêtait et répond à cette question : que sont devenus les enfants du programme Lebernsborn à la fin de la guerre? Mais l’autrice offre aussi un plan large : Orphelins 88, c’est aussi l’histoire d’autres enfants traumatisés, celle des populations juives après la guerre, qui ont cherché à rentrer chez eux et ont subi les pogroms, celle des soldats américains noirs par le biais du personnage de Wally. Alors que les atrocités des nazis sont censées être terminées, mais que la faim, le froid, la colère font encore des ravages.
Deux fois j’ai dû faire une pause dans ma lecture parce que c’est dur, très dur. Et pourtant, Sarah Cohen-Scali n’invente rien : elle s’est documentée et rapporte des faits vécus, inventant des personnages simplement pour mieux rendre la réalité historique. Ceux-ci sont forts, marquants. Josh en tête, alors que le lecteur suit le fil de ses pensées et du puzzle de son histoire, qu’il reconstitue peu à peu à l’aide de souvenirs, mais aussi de témoignages. Celui de Wally, soldat qui prend Josh sous son aile et lui raconte aussi sa réalité à lui, ses rêves, la difficile réalité d’être noir en Amérique. Celui d’Ida, femme courageuse à la tête de l’orphelinat, qui ouvre ses bras à tous les nouveaux arrivants, mais surtout travaille fort pour qu’ils aient le droit de vivre leur deuil, leur enfance, de vivre, simplement. Celui de Beate, fille-oiseau dans la ville, que Josh va tenter d’apprivoiser pour comprendre ce qu’elle a vécu. Celui d’Halina aussi, jeune fille juive polonaise qui a vu son père se faire fusiller devant ses yeux, a vécu l’enfer des camps et voudrait maintenant retrouver ses frères, reprendre sa maison. Avec eux, ce sont des réalités différentes qu’on explore, des histoires qui construisent l’Histoire et marquent encore davantage sans doute qu’un documentaire. Parce qu’on s’attache à eux et qu’on ressent, parfois bien malgré nous, leurs émotions...
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