Quand les Éditions Gallimard ont annoncé que Timothée de Fombelle était l'invité d'honneur pour leur rentrée automnale, j'ai presque sauté de joie. Il faut dire que j'ai une relation particulière avec ses mots, la poésie qu'il réussit à mettre dans ses histoires et qui me reste longtemps en tête. J'ai d'ailleurs été ravie par ce qu'il a raconté ce fameux matin d'octobre et je me suis dit que ce serait chouette de partager avec vous un peu de ce que j'y ai appris. Voici donc le résultat de notre entrevue (que j'ai réussi à lui demander, malgré ma gêne!)!
Vous dites que vous aimez les détours lors de l’écriture. Avez-vous besoin de beaucoup planifier avant de vous permettre ces « balades »?
Oui, je dois avoir dessiné la carte des lieux avant de partir en promenade ! Je sais ce que vont devenir mes personnages et surtout d’où ils viennent. En musique aussi l’improvisation a des règles très précises. Je pense que c’est parce que, comme lecteur, je tiens absolument à ce que les auteurs que je lis retombent sur leurs pieds. Quand je sens que l’auteur est perdu, je le suis aussi !
Est-ce que vous êtes parfois surpris par vos personnages?
Oui. La maîtrise dont je parlais a des limites, heureusement. C’est même toujours dans ces surprises qu’il se passe les plus belles choses. Dans
Vango, un personnage comme la Taupe m’a mené par le bout du nez ! Elle ne devait pas prendre cette importance. Mais je me suis laissé séduire par cette jeune fille qui surgissait sous ma plume.
Vous dites prendre beaucoup de temps pour écrire un roman. Qu’est-ce que le temps apporte à une histoire?
C’est vrai que le temps n’est pas seulement une affaire de délais d’écriture… C’est la matière même de l’écriture. On écrit avec sa vie, ses rencontres, ses épreuves. Un livre qui nous suit plusieurs années est donc marqué par tout cela.
Est-ce que pour vous l’inspiration est toujours présente ou devez-vous la forcer parfois?
Je n’ai pas vraiment de panne sèche, pour le moment, mais c’est parce que les projets que j’attaque touchent pour moi des sujets vitaux. Alors, il y a une sorte d’énergie naturelle. Je pense que des textes de commande, par exemple, peuvent parfois provoquer l’angoisse de la page blanche.
Vous avez déjà été professeur de lettres. Quel regard cette partie de vous pose-t-elle sur vos romans?
Je réalise que je ne me suis jamais posé cette question. Vous m’en donnez l’occasion ! Je crois que le fait d’avoir enseigné me rend seulement attentif sur deux questions : Est-ce que mes histoires développent l’envie de lire chez les lecteurs ? Est-ce que ces livres initient un peu à la richesse et à la complexité de la littérature?
Est-ce un choix d’écrire pour la jeunesse? Qu’est-ce qui vous a amené à ce public?
C’est d’abord la liberté que je trouve dans ce genre ! Ou plutôt la possibilité de mélanger les genres, le polar, l’historique, le romanesque, le sentimental…
Tobie Lolness est un diptyque et Vango s’étend aussi sur deux tomes. Est-ce que le choix de ce format est conscient? Qu’est-ce qu’il vous apporte?
J’ai compris récemment ce qui provoque ce rythme. Pour moi Tobie est une seule histoire.
Vango aussi. Mais en écrivant en deux tomes, je me retrouve à devoir faire des promesses dans le premier volume, qui m’obligent à les tenir dans le second. Ainsi, le projet devient plus ambitieux que si je ne devais lancer que des intrigues qui doivent se refermer dans le même livre. Mais pour l’instant je résiste à la trilogie !
Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture?
Le plaisir de créer des mondes avec les moyens les plus légers : un stylo et une feuille de papier.
Que préférez-vous dans l’écriture? Qu’aimez-vous le moins?
Deux questions, mais une seule réponse… Ce que je préfère et que j’aime le moins, c’est la solitude. Pouvoir travailler seul, c’est merveilleux. Mais c’est aussi vertigineux. Je rêve parfois de pouvoir m’appuyer sur les autres. Pour l’instant, je n’arrive pas vraiment à travailler en équipe.
Est-ce que vous trouvez que la littérature jeunesse est importante dans le parcours d’un lecteur? Pourquoi?
C’est par là que tout commence. On se met à aimer ou à détester les livres. C’est une grosse responsabilité pour les auteurs jeunesse. Je crois qu’en se mettant à lire d’autres littératures, on peut malgré tout continuer à fréquenter les livres qu’on a aimés à 12 ou 15 ans. J’écris pour tous les âges.
Quelles sont les qualités du public jeunesse? Leurs défauts?
Le public jeunesse est touché en profondeur par ce qu’il lit. C’est ce que je trouve le plus beau. Son défaut, c’est d’être difficile, volatile, sujet à mille tentations autres que la lecture. Mais c’est peut-être des qualités. En tout cas c’est pour moi, pour les auteurs, un défi formidable. Comment montrer la modernité et la force de la lecture malgré le zapping ambiant ? Réponse : en écrivant de bons livres.
Êtes-vous un grand lecteur vous-même? Que lisez-vous? Est-ce que la lecture nourrit votre écriture?
Oui, La lecture nourrit l’écriture si bien que je lis beaucoup moins lorsque j’écris, pour protéger mon univers. Je lis de tout. Essais, romans, biographies, poésie…
Y a-t-il des choses que vous voyez dans d’autres romans et que vous ne voudriez surtout pas reproduire dans les vôtres?
Oui. Simplement tout ce qui surfe sur l’air du temps et ne prend aucun risque.
Avez-vous un nouveau projet d’écriture en cours? Pouvez-vous nous en glisser quelques mots?
Ce n’est pas un roman, c’est un gros livre sur l’imaginaire, mais je me tais parce que c’est encore loin d’être écrit. Je voudrais que ça ressemble à un grimoire, un labyrinthe…
Rafale lecture !
Enfant, étiez-vous un grand lecteur? Qui vous a donné le goût de lire?
Oui. Peut-être ma grand-mère. À toute heure de la nuit, je pouvais me réveiller et passer dans le couloir, la lumière dessinait un trait sous sa porte : elle lisait.
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?
Le mot « intime ». Un livre tisse avec chacun un lien différent, unique. Il nous rejoint dans nos passions, nos souffrances, nos rêves.
Quel est votre livre préféré?
J’en choisis un parmi dix :
L’éducation sentimentale de Flaubert.
Quel roman a marqué votre adolescence?
L’écume des jours de Boris Vian
Quel est le livre sur votre table de chevet?
En ce moment, il y a
Les Misérables de Victor Hugo.
Dans quel endroit préférez-vous lire?
Sous un arbre.
Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous?
Michel Strogoff de Jules Vernes.
Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont raffolé de Vango?
Petit traité sur l’immensité du monde de Sylvain Tesson
À noter, le deuxième Vango est sorti cet automne et Tobie Lolness a été réédité dans une version intégrale absolument magnifique!
J'adore! J'adore! J'adore! Merci Sophie!