Entrevue avec Jean-François Sénéchal

 
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11 octobre 2012

 

La lecture du Cri de Léa m'ayant intriguée avec ses créatures hurlantes et son propos social terriblement d'actualité, j'ai eu envie de poser quelques questions à son auteur, Jean-François Sénéchal. Il a bien voulu se prêter au jeu. Voici ses réponses.

Quel personnage est venu en premier, lorsque ce projet n’était qu’à l’état embryonnaire : Léa, William, Pierre ou David?

Léa est le premier personnage qui est né. Je dirais qu’elle est le cœur du roman : sa peine d’amour devient l’étincelle d’un mouvement populaire qui embrase le monde entier. Sa souffrance est totale, primordiale, si bien qu’elle est en quelque sorte le reflet de toutes les autres.

Certaines choses sont tues dans le roman (je pense notamment au mal dont souffre David). Pourquoi ce choix?

J’aime bien l’idée que le lecteur puisse remplir les « trous » d’un roman en investissant son imaginaire ou ses propres référents. Il en va ainsi, dans le roman, de l’apparence physique des personnages, des lieux de l’action et, effectivement, de la maladie dont souffre David. Sur ce dernier point, je ne pense pas que des précisions supplémentaires auraient apporté quoi que ce soit. J’ai voulu parler de maladie, pas d’une maladie en particulier.

D’où vous est venue cette idée des créatures hurlantes?

C’est une image surgie avec fracas, tout simplement.

Il y a un côté social très actuel dans Le cri de Léa, un questionnement sur la condition humaine, sur ses valeurs. Avez-vous été inspiré par la situation politique québécoise et internationale?

L’essentiel du roman a été écrit avant le printemps érable. Je m’inspirais surtout du printemps arabe et du mouvement Occupy, celui des indignés. Par la suite, on m’a souvent dit que le roman évoquait le printemps érable. Cela m’a conduit à réfléchir à ce que tous ces phénomènes avaient en commun, comme la quête de justice sociale, de liberté et d’égalité. Il s’agit d’idéaux politiques fondamentaux qui se retrouvent dans le roman et qui traversent de nombreuses luttes actuelles, ici comme ailleurs.

Comment se sent-on comme auteur lorsqu’on est plongé dans l’écriture d’un récit autant axé sur la souffrance? Est-ce que ce sentiment envahit votre vie « réelle »?

J’ai  toujours été fasciné par l’expression de la souffrance dans les différentes formes d’art, et peut-être plus particulièrement dans la musique, qui est d’ailleurs très présente dans le roman. Mais je ne dirais pas que l’écriture du Cri de Léa a eu une incidence émotionnelle négative sur ma vie quotidienne. Au contraire, parler de souffrance, écrire sur ce sujet est peut-être une façon de mieux l’apprivoiser. En fait, écrire a toujours été pour moi une façon d’apprivoiser la mort, laquelle entretient un lien étroit avec la souffrance.

Le style très littéraire du roman vous a-t-il demandé beaucoup de travail ou cela vous est-il venu naturellement?

Pour moi, cela représente une façon stimulante d’écrire, ludique je dirais même. Le plaisir d’écrire, c’est jouer avec les mots et leur signification, la syntaxe, s’amuser avec l’organisation du texte. Le Cri de Léa est un roman où j’ai mis ce plaisir à l’avant-plan. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que le processus d’écriture est toujours aisé.

En plus d’être écrivain, vous êtes également scénariste. En quoi cela influence-t-il l’écriture de vos romans?

Les images sont importantes pour moi, tant au point de vue poétique que de la représentation visuelle ou, si on veut, « cinématographique ». J’aime voir les choses, même si c’est seulement en esprit.

Le rapport cri/silence est omniprésent tout au long de l’œuvre. Êtes-vous vous-même plus le genre de personne à vous exprimer haut et fort ou à vous taire? Dans ce sens, de quel personnage vous sentez-vous le plus près?

L’écriture me permet de ne jamais me taire, même quand je fais silence. Pour ce qui est du roman, William est sans doute le personnage qui me ressemble le plus. Mais j’ai une affection particulière pour David, un personnage mû par une force tranquille qui m’inspire et qui m’apaise.

D’après vous, la réaction de Léa de s’enfermer dans le mutisme en est-elle une de faiblesse? De désespoir? De révolte? Un peu de tout cela?

Un peu de tout cela, effectivement, et plus encore. Léa est une adolescente qui a perdu ses repères, qui a du mal à s’ancrer dans le monde. Elle est perdue en elle-même. Et les causes de sa souffrance ne sont pas seulement amoureuses. Elles plongent très loin dans son expérience personnelle et c’est pour cette raison que sa douleur est si forte. Une situation n’est pas douloureuse en soi, tout réside dans la façon qu’on a d’y réagir.

Avec la fin plutôt heureuse du roman, aviez-vous la volonté de donner un peu d’espoir à vos lecteurs? Une fin malheureuse aurait-elle pu être envisagée à votre avis?

Non, une fin malheureuse n’a jamais été envisagée. Tout le roman tend vers une sortie de crise, en quelque sorte. À la fin du récit, l’horizon s’ouvre pour permettre aux personnages d’évoluer autrement, de retrouver l’espoir. L’espoir est important, surtout pour les jeunes, qui ont le droit de croire en un avenir meilleur. Car si un avenir meilleur advient (personnel et collectif), c’est parce qu’ils l’auront construit. Les jeunes sont toujours le porte-flambeau de l’espoir. C’est ce que le roman rappelle à sa façon.

Rafale lecture!

Enfant, étiez-vous un grand lecteur?

Oui, j’ai toujours aimé lire.

Qui vous a donné le goût de lire? 

La maison familiale était littéralement bondée de livres. J’ai baigné toute ma jeunesse dans ces livres qui représentaient un environnement familier et confortable pour l’enfant peu sociable que j’étais.

Êtes-vous aujourd'hui un grand lecteur en général? Que lisez-vous?

Je lis beaucoup, sur un grand nombre de sujets. J’ai une formation d’anthropologue, alors les sciences sociales, la philosophie, mais aussi les arts m’intéressent beaucoup.

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?

Je renvoie à cette phrase de Nietzche : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ».

Quel est votre livre préféré? 

Choix difficile! Mais à choisir, je dirais L’homme rapaillé, de Gaston Miron. Pour moi, c’est une source intarissable d’inspiration, de réflexion, et bien sûr de poésie. J’y reviens toujours pour m’y retrouver.

Quel roman a marqué votre adolescence?

Il y a en a beaucoup! Je mentionnerais L’écume des jours, de Boris Vian, Bonheur d’occasion, de Gabrielle Roy, et Germinal, d’Émile Zola.

Quel est le livre sur votre table de chevet?

L’art et la société, de George Duby, un grand historien du Moyen Âge. C’est aussi un grand écrivain, toutes catégories confondues.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

Chez moi, dans mon bureau.

Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous? 

L’homme rapaillé, encore une fois. Car ce livre, c’est déjà un peu moi.

Avez-vous une suggestion pour ceux qui ont aimé Le cri de Léa?

Les œuvres citées précédemment. Elles ont toutes participé, chacune à leur façon, à la genèse de mon écriture.

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