Sophie se mouille

En France, de récentes mesures ministérielles obligent les enseignants du collège, l'équivalent du secondaire, à mettre de l'avant les classiques et à délaisser la littérature jeunesse. Dans la même lignée, certains auteurs disent de cette littérature pour les plus jeunes qu'elle « véhicule une médiocrité littéraire obligée ». Du coup, les ventes de livres jeunesses sont en chute libre, les collèges n'en achetant plus, et ceux qui se révoltent contre cette nouvelle loi se font dire qu'ils craignent pour leurs ventes, qu'ils ne pensent qu'aux sous qu'ils perdront. Quoi?

Le blogueur Christian Grenier titre son article « trente ans de littérature jeunesse... anéantis? » et j'abonde dans le sens de son texte qui rappelle qu'on a mis longtemps à combler le fossé entre les grands textes et les petits lecteurs et que la littérature jeunesse permet justement à ceux qui ont de la difficulté à s'accrocher à la lecture de, peut-être un jour, avoir envie de lire Maupassant, Zola et autres vénérés. Je présentais justement Les aventures de Tom Sawyer cette fin de semaine, me disant qu'il y avait longtemps que je n'avais pas parlé d'un classique. Je réfléchis même à l'idée de créer une section spéciale, un défi pour lecteurs avancés qui ont découvert le bonheur de se plonger dans une brique et de s'imprégner de cet univers. Seulement, il faut d'abord créer cette étincelle magique qui fera qu'un jeune tournera les pages.

Présenter Sans famille, que j'ai pourtant apprécié, à un jeune qui n'arrive pas encore à construire du sens dans un texte contemporain, c'est courir le risque de le perdre entre les lignes et de le décourager. La littérature jeunesse n'est pas un sous-genre. Alice Liénard en parlait ici sur le blog de la librairie Monet et plusieurs autres voix se font entendre pour l'affirmer. En tant que lectrice, mais aussi en tant qu'enseignante, je souhaite que ce genre trouve un peu de noblesse et qu'il soit considéré comme la pierre angulaire qu'il est sur le chemin menant le lecteur aux classiques. Il faut outiller le lecteur, il faut lui montrer que la lecture est d'abord un plaisir.  On ne jette pas quelqu'un dans un lac sans lui avoir appris à nager, à moins de vouloir le noyer. Certains vont avoir une prédisposition naturelle et parviendront à garder la tête hors de l'eau, j'en conviens, mais la plupart vont couler, tout simplement.

Je suis une enseignante chanceuse, j'ai la chance d'être appuyée lorsque je présente les romans jeunesses qui ne sont pas des classiques, mais qui savent titiller l'imaginaire. J'ai de la chance, mais je continue à me battre parce que d'autres n'en ont pas et que je ne voudrais pas que cette malchance se rende jusqu'au QUébec... Qu'en pensez-vous?