Attention, ce livre est le cinquième et dernier tome de la série Le siècle des malheurs! Bien qu'il puisse se lire indépendamment, vous pouvez commencer par Pistolero.
Plusieurs personnes passent par le grand chêne vert sur la route qui mène à la Nouvelle-Orléans. Un jour, deux jeunes y gravent le symbole de leur amour; une nuit, deux jeunes y pendent un garçon à la peau noire. Ces histoires ne devraient pas préoccuper un arbre mais, pourtant, elles marquent ce chêne. Tout au long du XXe siècle, plusieurs évènements dramatiques, infléchis par le racisme et la guerre, se produisent sous ses branches. Le vieil arbre en raconte l’impressionnante succession.
Cicatrices vient clore la série de Camille Bouchard sur les malheurs historiques du dernier siècle. Encore dans l’action, mais aussi dans la description et la contemplation, l’auteur offre ici un texte plus relevé que les précédents, qui conviendra aux lecteurs intermédiaires de 11 ans et plus.
Au fil de la série Le siècle des malheurs, le style de Camille Bouchard a parfois agréablement varié. Cicatrices ne fait pas exception; on est ici à l’apogée stylistique des cinq tomes! La narration du chêne vert louisianais permet de prendre un pas de recul sur les hauts et les bas de l’humanité et de raconter une histoire d’un point de vue surprenant, à la fois détaché des évènements et imbriqué dans ceux-ci. Comment un arbre, aussi vieux que Napoléon, pourrait-il percevoir les malheurs humains? Il y a beaucoup de contemplation dans la narration, qu’on sent très proche de la nature. En effet, le vieux chêne s’attarde à plusieurs détails de la flore et de la faune et sur tous les liens entre les différents acteurs de son écosystème, bipèdes inclus. Beauté et laideur s’y côtoient – ça nous remet à notre place. Clairement, le pari poétique de Camille Bouchard est réussi avec Cicatrices!
Mais outre cette narration stylisée, la longévité du vieil arbre permet de revenir sur un siècle de saga familiale des Lavoie et sur des aspects des plus violents du XXe siècle. En spectateur impuissant, on assiste aux dérives racistes persistantes du Sud des États-Unis jumelées à certains faits étonnants sur les deux guerres mondiales (entre autres).
« Connards de racistes! […] Et dire que ce pays se targue d’avoir vaincu le nazisme et d’être la terre de la liberté! »
Bien que Cicatrices présente des épisodes révoltants de l’histoire de la lente évolution des droits des Noirs aux États-Unis, on sent, du début à la fin – du livre ou de la série –, l’auteur comme un allié indéfectible des droits humains universels et des populations opprimées. Toutefois, en soutien à la narration arboricole, de nombreux dialogues viennent rythmer le roman, et ils sont parfois durs et crus. On y retrouve d’ailleurs à quelques reprises le mot en « n ». Je devine que c’est le souci d’authenticité qui explique la présence d’un tel lexique dans les dialogues, mais soyez-en avertis.
Camille Bouchard conclut avec adresse sa série sur les malheurs du siècle dernier. On en retiendra une série explosive et originale sur des sujets aussi tragiques que passionnants de notre histoire. D’ailleurs, son chapitre final nous réserve une dernière surprise qui boucle le livre habilement et avec ironie. De quoi laisser le lecteur songeur un moment…
À noter : le livre a été finaliste au Prix du Gouverneur général 2020.
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