J'ai découvert la série Oseras-tu un peu sur le tard, me plongeant dans
La première fois de Sarah-Jeanne seulement le printemps dernier. J'ai toutefois été happée par le style très réaliste de cette histoire et l'absence de censure. Oui, parler à des adolescents de sexualité est possible. Et nécessaire.
Entrevue, donc, avec une auteure qui ose, Marie Gray!
Pourquoi avoir voulu traiter spécifiquement de la sexualité en littérature jeunesse?
Parce que je trouve que c’est un sujet tabou. Les jeunes ont besoin de vraies réponses à leurs questions, même les plus embarrassantes. Les informer est, pour moi, la meilleure façon de les protéger…
Où vous êtes-vous inspirée pour les histoires de la série Oseras-tu?
De jeunes de mon entourage et de ma propre adolescence. Cette période est un tourbillon excitant, exaltant, mais parfois aussi frustrant et terrifiant…
Est-ce que le fait d’avoir un fils adolescent a joué dans la décision d’écrire une série Oseras-tu?
Définitivement! Je voulais rester « dans le coup », nous avons une relation fantastique lui et moi et je ne voulais pas m’éloigner de ce qu’il vit et essayer de le guider dans ses choix sans lui faire la morale…
Et dans le choix des thèmes abordés?
Oui, tout à fait. Nous faisons tous des erreurs, il faut faire des essais, bien sûr, mais certains ont plus de conséquences que d’autres…
Est-ce que les personnages sont inspirés de vos connaissances ou de gens que vous avez déjà croisés dans votre vie?
Tout à fait. Mon adolescence et ma vie de jeune adulte a été peuplée de toutes sortes de personnes et les choses n’ont pas tant changé depuis…
Évidemment, depuis que je fais des rencontres dans les écoles et que de plus en plus de jeunes me confient des choses, je m’en inspire de plus en plus.
Est-ce que les jeunes dans les écoles viennent spontanément vous voir? Est-ce qu'ils sont très importants pour votre écriture?
Oui, ils viennent spontanément vers moi et ces rencontres se poursuivent souvent longtemps par la suite par le biais de facebook ou d'échanges de courriels. Je pense que le fait que je sois neutre, sans jugement, que je ne sois ni leur mère, ni leur prof, bref que je semble comprendre de qu'ils vivent sans toutefois leur dire quoi faire, les rend à l'aise de me confier certaines choses. Je dois avouer que c'est parfois lourd; certains me racontent des choses pénibles qu'ils ont vécues et qu'il n'ont raconté à personne d'autre avant moi. C'est très flatteur, cette confiance, mais je ne suis pas formée pour intervenir, conseiller ou m'impliquer personnellement et je me sens souvent impuissante... Mais beaucoup m'avouent que le simple fait d'en parler leur fait du bien, alors tant mieux! C'est extrêmement important pour moi; plusieurs VEULENT que je raconte ce qu'ils ont vécu ou me confirment que j'ai vu juste dans certaines situations. C'est un rapport essentiel et TELLEMENT important! Faut dire qu'ils sont fantastiques, les ados... moi, je les adore!
Prenez-vous aussi plaisir à écrire des rôles de «méchants », comme celui de Sébastien dans La première fois de Sarah-Jeanne?
Les méchants sont essentiels. Quand j’avais 16 ans, je croyais que tout le monde était gentil, que les choses difficiles n’arrivaient qu’aux autres… Rien n’est plus faux, malheureusement. Encore une fois, en étant conscient des risques, on est plus à même de s’en prémunir…
Vos descriptions de la sexualité sont assez explicites dans vos romans. Croyez-vous que c’est nécessaire pour les ados d’être confronté à « la réalité »?
Ils sont déjà confrontés à des choses bien plus explicites et il s’agissait pour moi de faire la part des choses. Il n’y a aucune vulgarité dans mes livres, je veux les inciter à penser à leurs propres raisons et leurs propres motivations dans leur vie sexuelle. C’est donc essentiel de « dire les vraies choses », selon moi
.
Est-ce que ça a été difficile de faire accepter ce nouveau genre de roman pour ados à un éditeur?
J’ai la chance d’avoir un éditeur qui a souvent publié des ouvrages avant-gardistes et avec une grande ouverture d’esprit… c’était mon père, et aujourd’hui, ma sœur et moi continuons l’aventure.
Vous écrivez aussi de la littérature érotique pour adultes. Avez-vous dû modifier ou adapter votre vocabulaire pour les scènes sexuelles dans vos romans pour adolescents?
Ce n’est pas du tout la même approche. Dans
Oseras-tu, il ne s’agit pas de titiller ou de réveiller une libido somnolente comme ça peut être le cas pour les
Histoires à faire rougir ;-) La réalité sexuelle des adules en couples ou actifs sexuellement depuis plusieurs années n’est pas du tout la même. Les histoires et les contextes des romans de la série
Oseras-tu correspondent au vécu des adolescents, à leurs réalités.
Vous travaillez avec plusieurs professionnels (sexologues, psychologues et autres) pour la construction de vos histoires. Est-ce que ce travail « en équipe » vous plait?
J’ADORE cet aspect. Je ne veux pas faire de morale, mais je tiens à véhiculer une information juste et valable et c’est là qu’ils interviennent. J’écris d’abord un premier jet, et je leur demande s’il « accrochent » sur certains passages qui ne leur sembleraient pas plausibles, qui risqueraient de passer un message négatif ou autre chose du genre. Je ne suis pas formée pour intervenir auprès des jeunes mais je trouve que traiter de sujets aussi délicats entraîne une grande responsabilité…
Vous travaillez aussi comme éditrice maintenant. Est-ce que ce rôle influence votre écriture?
Non… si ce n’est que c’est un travail passionnant et qu’il est parfois difficile de conjuguer les deux carrières!
Vous avez déjà été chanteuse de heavy metal. Est-ce que ce passé influence votre écriture?
Oui, absolument. J’ai eu la chance de vivre toutes sortes d’expériences, d’aller au bout de mes rêves et, même s’ils ne se sont pas concrétisés, j’en ai retiré énormément d’expériences positives… comme des remises en question essentielles.
Et le fait d’avoir déjà écrit des paroles de chanson?
Oui, sans doute, même si c’est complètement différent. Un roman permet d’élaborer, de raconter une histoire avec tellement plus de détails!
Avez-vous un rituel d’écriture?
Comme je travaille à temps plein et que j’ai deux enfants à la maison, je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire. Alors, je prends le temps de penser à toute mon histoire, je prends des notes, je fais un plan et là, je m’offre quelques jours de « vacances » pour écrire… Ces jours doivent être productifs! Alors je choisis des journées où les enfants sont à l’école; je me lève tôt, et j’écris toute la journée, ne m’interrompant que pour manger un peu ou aller marcher lorsque quelque chose « bloque ». Je ne réponds pas au téléphone, je ne fais RIEN d’autre qu’écrire!
Vous avez parlé de faire une série équivalente à Oseras-tu, plus axée sur les garçons. Est-ce un projet qui avance?
Tout à fait! En ce moment, elle mijote, ce qui est une étape primordiale. La série doit mûrir, prendre forme dans ma tête avant que je puisse l’écrire. Le premier tome verra le jour après le tome 6 de la série actuelle, soit quelque part en 2012…
Rafale lecture !
Enfant, étiez-vous une grande lectrice?
Je suis tombée dedans quand j’étais petite alors, je « mangeais » des livres!
Qui vous a donné le goût de lire? Comment cette personne a réussi à développer ce lien entre vous et les livres?
Mon père était éditeur et distributeur de livres… il apportait toujours des livres à la maison et je travaillais pour sa maison de distribution quand j’étais étudiante. Le bonheur! C’est d’ailleurs mon père, aussi, qui m’a encouragée à écrire mes premières Histoires à faire rougir. Merci, Papa!
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres?
Pouvez-vous nous expliquer ce lien? Obsession. Quand je « trippe » sur un livre, j’ai du mal à faire quoi que ce soit d’autre que le dévorer.
Quel est votre livre préféré?
Je suis une fan finie de Stephen King. J’ai lu tous ses livres, certains plusieurs fois.
Quel roman a marqué votre adolescence?
Il y en a tant que je ne voudrais en négliger aucun en n’en nommant qu’un seul!
Quel est le livre sur votre table de chevet?
J’ai ai toujours une dizaine en plus des manuscrits que je lis pour la maison d’édition…
Dans quel endroit préférez-vous lire?
Sur le divan près d’un bon feu ou au lit avec tout plein d’oreillers.
Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui aiment les livres de la série Oseras-tu?
Je dois avouer que je préfère m’abstenir de lire des livres qui s’adressent au même public que mes romans, je suis un peu superstitieuse et j’aurais peur d’imiter inconsciemment des auteurs ou des styles qui me plaisent ou de me mettre des barrières et hésiter à aller aussi loin que cette série vise à le faire. Je sais que la littérature jeunesse québécoise est extraordinaire, il y a des tonnes de romans fabuleux et d’auteurs incroyablement sympathiques!
Merci pour l'entrevue. C'est fort intéressant de découvrir le processus d'écriture d'une auteure.