Billet rédigé par Marie Fradette, spécialiste en littérature jeunesse
« Chaque matin, le soleil revient de voyage, après avoir visité l’autre côté du monde… Il savait cela Momo. Il murmura à l’oreille de Khady, qui jouait avec lui dans les arbres du village : Un jour, moi aussi, je partirai là-bas […] de l’autre côté du monde ».
Et ce demain qui le mènera, croit-il, du côté de la vie abondante et facile, là où les mangues se rendent, Momo y rêve tout éveillé jusqu’au jour où il décide de partir. Mais peut-on quitter aussi facilement ? Cachés dans le grand camion qui transporte les mangues jusqu’au port, Momo et Khady se font décharger dans un bateau. Alors que tout semblait couler, que le bateau avait levé l’ancre, un officier leur demande leurs papiers. C’est tout un rêve qui s’écroule, celui de l’abondance, de la vie belle et légère. Sans cartes d’identité, on lui signifie qu’il n’est rien. Mais les mangues, elles, elles en ont pourtant, des papiers.
Dans cet album, Pinguilly met en scène le cruel univers des clandestins, des gens qui, portés par l’espérance, prennent des risques énormes pour se refaire une vie, ailleurs, de l’autre côté où ils trouveront les moyens d’aider la famille laissée derrière. Les lecteurs avertis sont amenés ici à découvrir, sinon mieux comprendre, les thèmes de l’exil, des sans-papiers, de l’idéal occidental.
Yves Pinguilly est passé maître dans l’art de mettre en scène l’altérité, la découverte de l’Autre par le biais d’histoires issues d’un réel souvent difficile. Le thème des sans-papiers, qui revient fréquemment dans le roman pour adolescents, est peut-être moins traité dans l’album. Ici, l’auteur le fait avec poésie, sans enlever tout le drame qui entoure le sujet. Le parallèle qu’il fait entre les mangues, ces fruits jaunes, l’or des Africains, et l’humain est tout à fait saisissant. L’absurdité frappe de plein fouet. Comment peut-on refuser à un garçon de traverser la mer pour une vie meilleure, alors que les objets, la nourriture peuvent facilement voyager grâce à une fiche en règle ? Pour illustrer cette réalité, le texte de Pinguilly est accompagné des illustrations d’Aurélia Fronty. Si la candeur du trait a pour effet d’adoucir quelque peu la puissance du message, l’utilisation de la couleur permet de saisir toute l’émotion. Alors que les teintes chaudes enveloppent les moments d’espoir vécus par le héros, les pages s’assombrissent, passant du violet au bleu nuit, lorsque la réalité frappe. Il s’agit d’une histoire puissante dans laquelle on dénonce les inégalités et l’incongruité de ces politiques.
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