Entrevue Guillaume Fournier - Traducteur

 
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14 février 2012

Vous êtes-vous déjà demandé qui est cette personne derrière la traduction d'un bouquin que vous trouvez particulièrement bon? Personnellement, je le fais chaque fois que je lis un roman traduit dont la musicalité me touche parce que je me dis que, si ce sont les images de l'auteur, il y a là la touche d'un amoureux de la langue. Ce fut le cas pour Léviathan et Béhémoth et c'est pourquoi j'ai pris contact avec Guillaume Fournier, leur traducteur, pour une petite entrevue. La voici! 

Quel a été le parcours qui vous a mené à la traduction ?

Je suis venu à la traduction par hasard. Au départ il y a eu le jeu de rôle. Les premiers auxquels j’ai joué au lycée n’existaient qu’en anglais, donc avec des amis on s’est mis à traduire ceux qui nous intéressaient. Plus tard, pendant mes études (de Lettres), j’ai proposé mes services à un éditeur de jeux de rôle. On m’a donné un texte à l’essai, et j’ai été pris. Ça m’a permis de faire mes premières armes et ça m’a nourri pendant plus de dix ans.

Et puis un jour, mon éditeur m’a mis en relation avec une maison d’édition belge qui voulait traduire une série de romans basés sur un univers de jeu de rôle. Ça m’a plu, et ça m’a fait prendre conscience que je pouvais aussi traduire des livres. J’ai commencé à démarcher différentes maisons d’édition, j’ai eu la chance d’en trouver une qui m’a fait confiance, puis une autre, et ainsi de suite. Et de fil en aiguille, j’en suis venu à traduire de plus en plus de livres. Aujourd’hui je ne fais plus que ça et j’en suis très heureux. Comme quoi le hasard fait parfois bien les choses.

Par quels genres de textes avez-vous commencé? Depuis quand faites-vous de la traduction de romans jeunesse? Est-ce un choix?

Les jeux de rôle et suppléments de mes débuts étaient des textes truffés de règles, mais qui comportaient aussi des parties plus littéraires, des descriptions de mondes imaginaires, des aventures… Il fallait être pointilleux, parce que les règles ne supportent pas l’inexactitude, et en même temps les passages plus descriptifs ou narratifs offraient l’opportunité de travailler le style. Je garde un excellent souvenir de cette expérience.

Les romans jeunesse, ça remonte à une dizaine d’années. J’avais proposé mes services à Bayard Presse, maison que je connaissais un peu pour avoir fait plusieurs illustrations et scénarios de bande dessinée pour eux, et après un bout d’essai ils m’ont confié un certain nombre de livres pour enfants. Plus tard, quand d’autres éditeurs m’ont proposé des romans pour jeunes adultes, j’ai accepté bien volontiers. Il y a eu une part de hasard là dedans, ou d’enchaînement naturel si vous voulez ; pour Scott Westerfeld, par exemple, c’est aussi parce que j’avais traduit un de ses romans adultes qu’on m’a proposé ses romans jeunesse.

Mais au fond, jeunesse ou pas, ça ne change pas grand-chose. Ça reste le même travail. Les romans jeunesse sont peut-être un peu plus courts, et encore. Quant au vocabulaire, ou à la richesse des personnages, des intrigues ou des thèmes abordés, beaucoup de romans jeunesse n’ont rien à envier aux livres dits adultes.

Comment travaillez-vous? Lisez-vous d’abord une fois le récit au complet avant d’amorcer la traduction?

Oui, je commence par lire le livre avant de commencer. Certains personnages, certains éléments de l’intrigue ou du décor se comprennent mieux dans le contexte global du récit. Je prends des notes au fur et à mesure, et il n’est pas rare qu’un terme ou un nom que je pense traduire d’une certaine façon au commencement de ma lecture connaisse un ou plusieurs changements avant la fin.
Bien sûr, les choses se compliquent dans le cas d’un cycle. En règle générale, seul le premier tome est paru quand j’entame la traduction, et là, impossible de savoir où compte nous emmener l’auteur. Dans ces cas-là, je prie pour que les choix que je fais dans le tome 1 ne soient pas démentis quelques années plus tard dans le tome 3 ou 4. Heureusement ça ne m’est encore jamais arrivé.

Avez-vous parfois des coups de cœur pour des romans que vous traduisez?

Oui, absolument ! Je pense d’ailleurs avoir eu beaucoup de chance avec les titres qu’on m’a confiés. Cela dit, je ne crois pas que ce soit une nécessité. Je ne suis pas là pour apprécier les romans, mais pour les restituer de mon mieux dans ma langue, et ça, c’est toujours intéressant à faire, que j’accroche ou non au style, à l’intrigue ou aux personnages.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre métier? Que préférez-vous?

Le plus délicat, c’est de parvenir au bon réglage entre le respect du texte, primordial, et les petites trahisons inévitables que suppose la transposition dans une autre langue. L’anglais s’accommode très bien des répétitions, des épithètes multiples et des tournures indirectes, par exemple, alors que le français beaucoup moins. Il y a toujours une part d’adaptation, mais à mon sens elle doit rester la plus mince possible. J’essaie de me couler au mieux dans le style de l’auteur pour rester fidèle à sa cadence particulière.

C’est aussi l’un des éléments que je préfère dans mon travail, cette possibilité d’endosser des styles différents d’un livre à l’autre, ce renouvellement permanent, non seulement des personnages, des décors et des intrigues, mais aussi du vocabulaire, du niveau de langue et de toutes les difficultés qui vont avec.

J’apprécie également la liberté que me confère le fait de travailler chez moi, de ne pas être soumis à des impératifs horaires autres que le respect des dates de rendu. Ça demande de la discipline, mais c’est l’un des grands avantages de ce métier.

Avez-vous aimé traduire Léviathan et Béhémoth de Scott Westerfeld?

Scott Westerfeld est un auteur très agréable à traduire parce qu’il a une écriture à la fois précise et imagée. Quand je le lis, la traduction me vient pour ainsi dire toute seule sous les doigts. Je n’ai pas besoin de retourner sept fois chaque phrase dans ma tête pour décider comment je vais la retranscrire. Par ailleurs, j’aime beaucoup l’atmosphère qui se dégage de sa Première Guerre mondiale steampunk. Donc, oui, je me suis régalé.

Aviez-vous accès aux illustrations au moment de traduire? Est-ce qu’elles ont influencé votre traduction?

Tout à fait, j’avais les illustrations au moment de la traduction. Elles sont superbes, non ? Je ne sais pas si elles m’ont influencé. Tout ce qu’elles contiennent se trouve dans le texte, donc elles ne m’ont apporté aucune indication supplémentaire, mais il est clair qu’elles m’ont aidé à me plonger dans l’ambiance. Elles ont peut-être joué sur la tonalité que j’ai essayé de donner à l’écriture.

Êtes-vous en contact avec l’auteur au moment de la traduction? 

Beaucoup d’auteurs ont aujourd’hui un blog ou un site par lequel il est relativement facile de les contacter. Ça n’a pas toujours été le cas, mais il faut reconnaître que c’est parfois bien pratique. Les choix qui président à certains noms d’endroits ou de personnes, par exemple, ne sont pas toujours explicites dans le texte et peuvent donner lieu à des interprétations très diverses ; la possibilité de demander des éclaircissements à l’auteur permet alors de coller au plus près à ses intentions.

Est-ce qu’il faut être un amoureux de la langue pour être un traducteur? Comment se passe le choix des mots?

Je pense qu’il faut aimer jouer avec l’écriture, oui, ça me paraît préférable, d’autant qu’on est amené à embrasser des styles et des niveaux de langue qui peuvent beaucoup changer d’un auteur (ou d’un livre) à l’autre. Il ne faut pas hésiter à se plonger dans les dictionnaires ou même dans un manuel de français pour vérifier certains points sur lesquels on peut avoir un doute. Il y a dans ce travail une grosse dimension technique qui ne doit pas rebuter, c’est certain.

Le choix des mots s’effectue assez naturellement, il est dicté par le texte original ; en fait, la phrase française s’impose à moi en même temps que la compréhension du texte anglais. Il est souvent nécessaire de la reformuler un peu, mais plus le texte est précis et bien tourné, sans ambiguïtés dans la formulation, plus les retouches sont légères.

Après, pour les néologismes et les noms de lieux ou de personnes, dans la fantasy notamment, c’est en fonction de l’atmosphère générale du roman… et de l’inspiration du moment. Il y a une part de création, qui ne doit jamais s’affranchir du respect de l’auteur. Il ne s’agit pas d’imprimer sa patte sur le texte original, mais de s’efforcer de restituer au mieux les intentions de l’auteur telles qu’on les perçoit.

Faut-il être un grand lecteur pour être traducteur? 

Je ne sais pas si c’est indispensable, mais il me semble que ça aide beaucoup, à la fois pour la richesse du vocabulaire et la diversité du style. On demande au traducteur d’avoir une excellente compréhension de la langue originale, bien sûr, mais aussi et surtout une grande aisance et une maîtrise certaine dans la langue de restitution ; et pour ça, quoi de mieux que la lecture ? Avoir des lectures abondantes et variées permet d’élargir sa palette et peut-être d’éviter de tomber dans une certaine facilité, de développer des tics d’écriture et de s’enfermer dans des formulations répétitives.

Rafale lecture !

Enfant, étiez-vous un grand lecteur?

Oui, j’ai dévoré des livres très tôt, je lisais tous les jours, et souvent plusieurs livres de front. Je pouvais rester des heures assis à lire dans les rayons de la Fnac et j’ai littéralement écumé ma bibliothèque municipale. Je me suis même retrouvé enfermé dedans après la fermeture, un soir ! Je n’avais pas entendu la bibliothécaire appeler tout le monde à sortir. Heureusement qu’il y avait le téléphone.

Qui vous a donné le goût de lire? Comment cette personne a réussi à développer ce lien entre vous et les livres?

Je pense que le goût de la lecture me vient de ma mère, grande lectrice elle-même et qui nous a élevés dans une maison pleine de livres. Elle nous lisait des contes quand nous étions enfants, et dès que j’ai pu, je me suis mis à en lire moi-même. Des contes du monde entier – mon premier contact avec la fantasy, en somme. Par la suite, elle m’a offert toute sorte de livres, en tenant compte de mes préférences, mais aussi en essayant de me faire découvrir des auteurs nouveaux. Elle continue encore aujourd’hui, d’ailleurs.

Êtes-vous aujourd’hui un grand lecteur? Que lisez-vous?
 
Ces dernières années j’ai moins de temps à consacrer à la lecture, mais j’ai toujours au moins un livre en cours, en plus de celui que je traduis, évidemment. Surtout des romans, avec une prédilection pour le polar, la science-fiction et l’histoire. Je lis finalement assez peu de littérature générale. J’apprécie également beaucoup les romans d’aventures maritimes de Patrick O’Brian, que j’ai découverts pour la traduction de la série Téméraire : je voulais m’immerger dans le vocabulaire si particulier du cadre et de la période, et ç’a été une vraie claque. Du coup, je savoure l’intégrale (en faisant durer, quelques titres à la fois seulement, chaque fois que je traduis un nouveau roman Téméraire).

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? 

J’ai un lien organique, viscéral avec les livres. Il m’en faut toujours autour de moi. Je n’imagine pas vivre sans lire, habiter une maison sans livres ou partir quelque part sans emporter de la lecture. J’aime aussi l’objet qu’est le livre, les grosses bibliothèques aux rayons surchargés, l’odeur et le contact du papier. Je ne me suis pas encore mis au livre électronique et je sens que je vais avoir du mal. Une bibliothèque qui tiendrait tout entière dans une carte mémoire ? Ça ne va pas être pour moi.

Quel est votre livre préféré?
 
Alors là… Je n’ai même pas un auteur préféré, alors choisir un seul titre ? Impossible.
 
Quel roman a marqué votre adolescence?
 
Le roman que j’ai le plus lu et relu dans mon adolescence est probablement Le Seigneur des Anneaux.
 
Quel est le livre sur votre table de chevet?
 
En ce moment ? Le Crépuscule d’une idole, un livre de Michel Onfray sur l’imposture psychanalytique. Aussi amusant qu’instructif. Et aussi un mini livre promotionnel de James Ellroy, Tijuana mon amour, petit chef-d’œuvre bien délirant que je relis de temps à autre par gourmandise. Plus une biographie de Jigoro Kano, le fondateur du judo. Et Deux cavaliers de l’orage, de Giono, sous Le Dôme de Stephen King, que je viens de terminer. Il faut que je fasse un peu de rangement.
 
Dans quel endroit préférez-vous lire?
 
Au chaud ! Sous la couette, au coin du feu, sur une terrasse ou un rocher chauffé par le soleil, peu importe, pourvu qu’il fasse chaud. Je dois être un peu frileux.
 
Si vous étiez un livre, lequel seriez-vous? 

Oh, ce n’est pas moi qui peux répondre à cette question. Et même si j’en avais la moindre idée, il y aurait probablement un monde de différence entre le livre que je serais vraiment, celui que je croirais être et celui que vous auriez l’impression de tenir entre vos mains. Non, je ne peux pas vous dire quel livre je serais. J’espère simplement que ce serait un bon livre.

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