Entrevue Geneviève Blouin

 
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1er mai 2012

Il est rare que des auteurs québécois se lancent dans le monde des Samouraïs et de l'Histoire du Japon. Et pourtant c'est un genre très apprécié chez plusieurs jeunes! Elle-même friande de ce style, Geneviève Blouin a été Hanaken, paru aus éditions Trampoline, un roman qui a été un véritable coup de coeur pour ma collaboratrice Eve. Cette dernière a donc eu envie d'en apprendre davantage sur l'inspiration de Geneviève. Voici l'entrevue! 

Hanaken s’inscrit dans un cadre historique. As-tu eu à faire beaucoup de recherches pour ton livre, ou était-ce une période que tu connaissais bien déjà?

C’est une période que je connaissais déjà bien, puisque je l’ai étudiée par plaisir et durant mes études en histoire (j’ai même appris les bases de la langue), mais j’ai quand même dû effectuer énormément de recherches. On ne réalise pas avant d’écrire un roman tous les détails qu’il faut connaître et qui étaient inutiles pour mes dissertations d’historienne. Faune et flore du pays, moyens d’éclairage, symbolisme des couleurs, architecture… Il n’est pas nécessaire d’être précis et ultra documentés dans tous ces domaines, mais il faut pouvoir donner quelques détails pour « colorer » le récit. Or, en étudiant l’histoire et la langue du Japon, j’avais appris très peu d’information sur la « vie matérielle » de l’époque. J’ai donc dû y remédier.

Jusqu’à quel point la culture japonaise t’influence-t-elle? Uniquement au niveau de l’histoire, des personnages, ou également dans l’écriture?

La culture japonaise a une grande influence dans ma vie. C’est en l’étudiant que j’ai appris à être sereine, à lâcher prise, à profiter du moment présent au lieu de ressasser le passé ou d’angoisser sur l’avenir. En écrivant Hanaken, je me suis donc gâtée : non seulement j’ai récupéré cette culture merveilleuse pour mon intrigue et mes personnages, mais j’ai aussi essayé d’adapter mon style d’écriture pour qu’il ressemble à celui des écrivains japonais. Normalement, j’ai une façon d’écrire très directe, crue même, mais pour Hanaken j’ai usé de la métaphore, de l’ellipse et du non-dit.

Ton récit comporte deux points de vue narratifs en alternance, soit celui de Yukié et celui de Satô. Est-ce qu’il y en a un qui a été plus facile à écrire pour toi? Lequel des deux personnages te ressemble le plus (indépendamment du sexe)?

C’était plus facile d’écrire le point de vue de Yukié, parce qu’elle ressemble davantage à la femme que je suis maintenant : elle sait ce qu’elle veut et elle ne se soucie pas du jugement des autres. Cependant, c’est Satô qui ressemble le plus à l’adolescente que j’ai été : il est peureux, superstitieux, mais il le cache et il fait ce qu’on attend de lui. En plus, comme Yukié était au cœur d’un dilemme, il était plus aisé de rendre ses chapitres accrocheurs. Satô, parce qu’il suit la voie qu’on lui a tracée, peut sembler terne alors j’ai dû travailler davantage pour le rendre intéressant.

Ton histoire propose toute une réflexion sur la question de la loyauté. Est-ce une valeur importante pour toi? Était-ce une situation à laquelle les samouraïs de l’époque avaient fréquemment à faire face?

Oui, ces conflits de loyauté étaient très fréquents chez les samouraïs. Et notre civilisation moderne ne les a pas tous éliminés! Pour ma part, je suis une personne très fidèle en amour et en amitié. Au travail, il m’arrive souvent de faire passer les intérêts de mon équipe avant les miens. Par contre, j’ai dû apprendre à la dure que tout le monde n’est pas aussi loyal, que certains abusent de notre sentiment de devoir et qu’il faut apprendre à choisir les gens à qui on accorde notre dévouement. Ce thème s’est donc présenté tout naturellement quand j’ai commencé à réfléchir à mon histoire.

Le suicide rituel (seppuku) est quelque chose de délicat à concevoir pour nous, Occidentaux. As-tu éprouvé de la difficulté à le mettre en mots, à le rendre pour ce qu’il est aux yeux des Japonais?

Je n’ai pas l’impression d’avoir eu de difficulté à expliquer cet aspect incontournable de la culture japonaise, mais j’espère que mes lecteurs seront d’accord. Le seppuku résume à lui seul la conception de la vie et de l’honneur pour les samouraïs. Cependant, je voulais faire sentir que, même pour les Japonais de cette époque, mourir n’est pas un choix aisé et que perdre un être cher reste un deuil. En fait, en écrivant sur le seppuku j’ai surtout eu peur qu’on m’accuse d’encourager le suicide!

Tu fais du taekwondo et du jiu-jitsu brésilien. Quel impact les arts martiaux ont-ils sur ton écriture? Comment concilies-tu la pratique de ces deux passions, l’une très physique, et l’autre plus intellectuelle et créative?

Les deux passions se complètent et se nourrissent l’une l’autre. Pendant un entraînement d’arts martiaux, je ne peux pas penser à quoi que ce soit d’autre qu’aux combats en cours (sous peine de recevoir un coup de poing sur le nez!), mais ce « congé de réflexion » me permet de prendre du recul par rapport à mes projets. Souvent, après une séance d’arts martiaux, je suis plus inspirée, plus créative et, parce que mon corps est épuisé, il m’est beaucoup plus facile de rester assise devant mon ordinateur pour une longue période. De plus, les arts martiaux m’inspirent parfois des intrigues ou des anecdotes pour mes écrits, ce qui est évident avec Hanaken, puisqu’on ne peut pas parler des samouraïs sans mentionner l’étude des techniques de combat, qui rythmait leur quotidien. Les arts martiaux me permettent aussi, je crois (ou j’espère), de décrire des combats d’une façon originale, de l’intérieur. Mais, surtout, ils m’apportent un équilibre. Mens sana in corpore sano, quoi!

Était-ce ton intention avec ce projet d’écrire pour les jeunes ou est-ce quelque chose qui s’est imposé en cours de route?

Ce n’était pas du tout mon intention! Hihihi! Cependant quand j’ai eu l’idée de l’histoire d’Hanaken, il était clair pour moi qu’il me fallait des personnages adolescents. Or, au Québec, si vos personnages sont adolescents, les éditeurs s’attendent à ce que votre roman soit conçu pour les jeunes. J’en discutais sur mon blogue avec des amis lorsque Pierre Chartray, l’éditeur de Trampoline, a lu notre conversation et m’a contactée en me disant qu’il était curieux et voulait lire mon idée. Je la lui ai envoyée, elle lui a plu et j’ai donc emprunté l’avenue du roman jeunesse, en espérant qu’elle ne me bloquerait pas trop. Grâce à Pierre, elle s’est révélée fructueuse!

Les livres illustrés sont plutôt rares pour cette tranche d’âge… D’où est venue cette idée de collaboration avec Sybilline? Avez-vous travaillé étroitement?

Trampoline avait déjà une collection illustrée et voulait lui donner plus d’ampleur, alors c’est tout naturellement qu’Hanaken s’y est retrouvé. Ça tombait bien : la culture matérielle du Japon est tellement différente de la nôtre, les illustrations étaient les bienvenues pour aider les lecteurs à s’y retrouver. C’est l’éditeur qui m’a suggéré le nom de Sybiline, dont je connaissais déjà un peu le travail. Le Japon féodal lui était complètement inconnu, alors je lui ai prêté des livres, je l’ai aidée avec certaines recherches, j’ai commenté les esquisses, je me suis même prise en photo pour lui montrer certains gestes! La collaboration fut donc étroite, oui, mais Sybiline étant perfectionniste et ultra professionnelle, elle a également effectué beaucoup de recherches de son côté et les illustrations résultantes ont dépassé mes attentes.

Nous savons maintenant qu’il y aura une suite à Hanaken. Était-ce prévu dès le départ, ou l’idée d’un deuxième tome t’est-elle venue après la parution du premier?

Je ne suis pas une lectrice de suite. Cependant, il semble que la littérature jeunesse carbure aux séries. Alors, quand j’ai commencé à écrire Hanaken et que mon éditeur s’est tout de suite mis à me demander s’il y aurait une suite, je me suis fermée : je ne voulais pas faire une série. De toute façon, mon idée se développait facilement en un seul tome, alors je n’avais pas envie de l’étirer. J’étais fière d’écrire un roman qui serait complet en lui-même, un voyage au Japon qui tenait entre deux couvertures. Sauf qu’un curieux phénomène s’est produit : alors que je terminais l’écriture du premier jet, j’ai eu une idée pour un second tome. Mon éditeur n’en a pas été fâché! Par contre, c’est une suite indépendante : on va retrouver les mêmes personnages, mais on repart avec une nouvelle intrigue, quelques années plus tard. Pour le moment, j’ai écrit les deux tiers du roman et je ne suis toujours pas sûre qu’il y aura un troisième tome. C’est de plus en plus probable, mais je réserve mon verdict!

Rafale lecture !

Enfant, étais-tu une grande lectrice?

Je dévorais! Je lisais partout : en mangeant, en marchant, durant les récréations, sur mes genoux pendant mes cours, sous mes couvertures au lieu de dormir. Quand je n’avais plus rien à lire, je me rabattais sur le dictionnaire. Mes parents étaient parfois un peu découragés. Disons qu’ils ont visité souvent la bibliothèque municipale et qu’ils ont été soulagés lorsque j’ai été assez vieille pour m’y rendre toute seule à vélo. Ils m’ont aidée à obtenir ma carte d’adulte de bonne heure (à 13 ans), parce que les livres pour enfants ne me suffisaient plus.

Qui t’a donné le goût de lire?

Mes parents, qui lisaient tous les deux beaucoup. Tous les matins de mon enfance, j’ai été accueillie dans la cuisine par la vision de mon père qui lisait une bande dessinée d’une main tout en mangeant ses céréales de l’autre. Quand j’étais petite, mes parents me faisaient la lecture avant que je m’endorme et ils ont eu l’ouverture d’esprit de ne pas établir de hiérarchie entre les genres : ils m’ont lu autant des articles d’encyclopédie pour jeunes que des livres illustrés, des contes traditionnels, des bandes dessinées… Je me souviens même que mon père m’a raconté, au fur et à mesure qu’il la lisait, l’histoire contenue dans un gros roman qui m’impressionnait beaucoup (et qui s’est révélé être l’intégrale du Seigneur des anneaux).

Es-tu aujourd'hui une grande lectrice en général? Que lis-tu?

Je dévore toujours un ou deux romans par semaine, même si j’ai un peu moins de temps. J’ai une préférence pour les romans noirs et glauques, qu’ils soient réalistes, policiers ou fantastiques. Je lis aussi des romans historiques, des drames de mœurs asiatiques, un peu de chick lit  pour rigoler, les nouvelles des revues Alibis, Brins d’éternité et Solaris, ainsi que les grands succès commerciaux du moment, histoire de les étudier. Au moins 50% de mes lectures proviennent de plumes québécoises.

Quel mot décrit le mieux ta relation avec les livres?

Dépendance.

Quel est ton livre préféré?

Juste un? Impossible! À la limite, je peux dire que mon roman historique préféré est Les rois maudits de Maurice Druon. Côté fantastique, j’oscille entre Le Pistolero de Stephen King ou Une fêlure au flanc du monde d’Éric Gauthier. Et au chapitre des romans réalistes, mais énigmatiques, il y a Épouses et concubines de Su Tong. Je le relis une fois par année et je suis toujours pas sûre de tout comprendre!

Quel roman a marqué ton adolescence?

J’hésite entre Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien ou Les dames du lac de Marion Zimmer Bradley.

Quel est le livre sur ta table de chevet?

Celui dont la lecture est en cours. Présentement, c’est le dernier numéro de la revue Brins d’éternité. Demain ce sera Les amis de Pancho Villa de James-Carlos Blake.

Dans quel endroit préfères-tu lire?

J’aime beaucoup lire dans le bus, mais il n’y a rien de mieux que le confort d’un sofa, près d’une grande fenêtre laissant voir qu’il pleut ou qu’il neige au-dehors. Cela dit, je peux très bien lire debout dans une file d’attente (et je ne m’en prive pas!).

Si tu étais un livre, lequel serais-tu?

J’espère que je serais La brûlure des cordes de F.X. Toole, l’un des meilleurs livres sur le combat que j’aie lus. Mais je vais être réaliste : étant donné ma personnalité, je serais plus probablement un roman de chick lit cynique et sarcastique!

As-tu une suggestion pour ceux qui ont lu Hanaken?

Rashômon et autres contes de Ryūnosuke Akutagawa (il se trouve dans la collection Folio 2 Euros). C’est un délice pour tous les âges. 
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