Entrevue avec Fabrice Boulanger

 
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2 août 2011

La série Alibis inc. me faisait de l'oeil depuis un moment puisque j'en avais entendu des bons mots et je m'y suis finalement plongée il y a quelques semaines. Le récit et l'écriture que j'y ai découverts m'ont particulièrement plu et ont engendré nombre des questions. En effet, écrire c'est une chose, mais écrire un suspens, ce doit être différent, non? Est-ce que le plan est plus important? Comment distille-t-on de l'information au lecteur pour qu'il ait l'impression d'enquêter lui-même sans qu'il découvre le pot au rose trop rapidement? Voilà pourquoi j'ai eu envie d'en discuter l'auteur de la série Alibis (dont le quatrième et dernier tome sort cet automne) avec Fabrice Boulanger. Voici votre entretien! 

Quand on écrit un suspense, doit-on écrire un plan pour connaître tous les éléments en jeu avant d'écrire?

Je ne sais pas si tous les auteurs le font, mais pour ma part, oui. En fait, je ne sais pas si on peut appeler ça un plan, c'est plutôt un suivi des différentes scènes qui vont composer le roman. Je me laisse toutefois assez de marge en ne décrivant pas trop pour pouvoir laisser agir les personnages spontanément de temps à autre. Parfois, l'intrigue prend des directions inattendues et c'est très bien comme ça.

Comment choisissez-vous les indices que vous offrez à Lucie (et au lecteur par le fait même)?

C'est assez complexe. Il s'agit de donner au lecteur assez d'indices pour qu'il continue à avoir envie de tourner les pages, sans pour autant en donner trop, ce qui pourrait lui faire deviner la suite. C'est une des parties les plus difficiles de l'écriture d'un roman : il faut bien doser, il faut un crescendo dramatique dans les indices dévoilés. En plus, il est parfois difficile de faire le point entre les éléments de l'histoire que je connais et ceux que le lecteur connaît. Il peut m'arriver d'oublier de parler d'un élément. Heureusement, mon éditrice est là pour m'en faire part.
 
Où trouvez-vous l'inspiration pour vos intrigues?


Un peu partout, souvent dans la musique, parfois dans des films ou des articles de presse. Je me laisse inspirer par l'ambiance d'un film, par exemple, même s'il n'a rien à voir avec ce que je suis en train d'écrire. Pour le tome 2 d'Alibis, l'inspiration est surtout venue d'une chanteuse de jazz, Patricia Barber, puis du film Ocean Eleven même si, au final, l'histoire s'en détache beaucoup.
 
Est-ce que vos études en cinéma et scénarisation jouent pour beaucoup dans votre style d'écriture?

La scénarisation, oui, indiscutablement. Ces cours m'ont appris à monter une histoire, à savoir comment fonctionne la structure narrative et comment doser les différents événements. Aujourd'hui, alors que le public adolescent est sollicité par toutes sortes de médias (jeux vidéo, films, réseaux sociaux, musique), il faut être en mesure de proposer des textes dont il aura du mal à s'extraire pour aller faire autre chose. Peu importe le type d'intrigue, il faut que le lecteur veuille tourner la prochaine page, plutôt que d'aller clavarder sur son ordi. Le rythme a donc une importance fondamentale dans les romans que j'écris. Or il n'y a pas meilleure école que le cinéma pour apprendre comment faire tourner un récit à la bonne vitesse.
 
 
Dans une dédicace au début de votre roman, vous dites qu'un de vos enseignants de français vous a fait « découvrir le monde de la lecture et de l'écriture ». Qu'a-t-il fait?

Au secondaire, j'étais nul en français. Grammaire, orthographe, lecture, composition. Le pire de la classe. On nous forçait alors à lire des classiques de la littérature française (pour adulte) du genre Saint-Exupéry, Maupassant, etc. À 13 ans, je n'accrochais pas trop! On nous inculquait aussi la grammaire et l'orthographe à coups de règles qu'il fallait connaître par coeur. Résultat : un dégoût absolu du français. Puis, un jour, j'ai changé d'école et j'ai rencontré un autre professeur. Son approche était totalement différente. Plutôt que de nous faire lire des poids lourds, il nous a laissé beaucoup plus de liberté pour choisir ce qui nous intéressait. Et puis, on a appris l'orthographe en jouant sur ordinateur (c'était tout nouveau à l'époque)! Bref, j'ai découvert plein d'auteurs intéressants comme Verne, Poe, Thiry, Lovecraft, Asimov et j'en passe... Je me suis réconcilié avec la lecture et avec le français. Plus tard, c'est avec lui (Jean Davister pour ne pas le nommer) que j'ai écrit mes premières nouvelles. Par contre, je suis resté assez nul en orthographe. Pour résoudre le problème, j'ai épousé une correctrice-réviseure, qui fait un travail d'enfer. Une vraie dentellière des mots. Un mariage de raison!

Votre série verra son quatrième tome paraître à l'automne. Est-ce vraiment le dernier? Comment décide-t-on de se séparer de ses personnages?

Oui, c'est vraiment le dernier. D'abord, que crois qu'il ne faut pas tirer les choses trop en longueur. Dès le départ, je m'étais fixé quatre tomes pour la série Alibis, mes plans de travail étaient faits en fonction. Maintenant que cette série est derrière moi, je ne vois vraiment pas comment j'aurais pu aller plus loin. L'histoire est terminée. Avec du recul, je me rends compte qu'à partir du deuxième tome, les personnages se sont étoffés, ils ont réellement pris vie. Ils se sont complexifiés. D'un côté, c'est un peu dommage de les mettre de côté maintenant qu'ils sont si riches, mais c'est comme ça, j'ai besoin de tourner la page et de passer à autre chose.

Que préférez-vous dans le processus d'écriture? Que trouvez-vous le plus difficile?

Avec le temps, j'ai compris que les personnages étaient le coeur même du récit (je n'y avais pas accordé beaucoup d'importance dans le premier tome, et maintenant, je trouve qu'il sonne creux par rapport aux autres). Mais monter un personnage, le construire de toutes pièces est quelque chose d'extrêmement complexe. Ça reste très prenant à faire, mais il faut remonter le plus loin possible dans son passé pour qu'il prenne corps, pour définir ses traits de caractère, son attitude. C'est un travail qui me demande beaucoup de concentration, je ne suis qu'un piètre débutant dans ce domaine. Ma préférence dans le processus : monter l'intrigue comme un véritable casse-tête et surtout ces petits moments où, quand le personnage est bien construit, il prend vie tout seul et propose ses propres agissements ou dialogues. Je sais, ça peut sembler surréaliste ce que je raconte, mais ça arrive vraiment. Je suis en train d'écrire une scène et subitement, comme de l'écriture automatique, le personnage agit ou parle alors que je n'avais pas du tout imaginé ça. Or souvent, ça va dans la bonne direction et relance le récit là où je ne m'y attendais pas.

D'après vous, est-ce que la littérature jeunesse est importante? Pourquoi?

Elle est tout simplement fondamentale. Au sens propre! Je ne suis pas pour autant du genre à forcer à lire les enfants qui n'en ont pas envie. Mais pour les autres, il est important de leur offrir des livres pour tous les goûts et dès le plus jeune âge. Je ne souhaite à personne de se retrouver comme moi à 13 ans forcé à lire des trucs qui ne me sont pas destinés. Les bibliothèques sont les pyramides protectrices de nos cultures depuis des siècles, les livres, les sarcophages des plus belles histoires inventées par l'homme. Il ne faut pas passer à côté.

Est-ce difficile d'écrire pour un public adolescent?

Sincèrement, je ne sais pas. Je n'ai pas cette impression-là. C'est comme écrire pour adulte mais, peut-être, avec moins de contraintes. D'un autre côté, c'est plus dur car, comme je le disais, les ados sont soumis à toutes sortes de distractions. C'est facile de lâcher le bouquin pour aller gesticuler devant la Wii. Ça demande une écriture dynamique, genre « page turner » pour qu'ils restent accrochés. Un adulte est plus sage, il reste en mode lecture plus longtemps.

Rafale lecture !

Enfant, étiez-vous un grand lecteur?

Pas du tout, jusqu'à ma rencontre avec Jean Davister. Là, je me suis rattrapé. Jean m'a simplement donné le choix de sélectionner ce qui me tentait. 

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? Pouvez-vous nous expliquer ce lien?

En dents de scie:-))) Je ne lis pas tout le temps. Il peut m'arriver de me taper deux, trois romans un derrière l'autre ou plusieurs BD, puis plus rien. Je regarde des séries télé ou la filmographie d'un cinéaste qui me plaît. Puis j'y reviens. C'est selon l'humeur du moment.

Quel est votre livre préféré?

Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne.

Quel roman a marqué votre adolescence?

Le même. C'est le premier que j'ai lu dans mon nouveau cours de français. Wow, quelle découverte! Ça doit faire quatre ou cinq fois que je le lis. J'aimerais, un jour, l'adapter pour les petits et en faire les illustrations.

Quel est le livre sur votre table de chevet?

Pour le moment? La biographie de Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones. C'est rare que je lis une bio, mais celle-là m'intéressait beaucoup.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

Dans notre bibliothèque.

Y a-t-il certains livres ou genres de livres que vous êtes un peu gêné d'aimer?


À l'heure actuelle, non. Quand j'étais jeune, j'ai commencé par lire des « Livres dont on est le héros ». Mon ancienne prof de français (celle qui ne jurait que par les classiques) m'avait sommé de passer à quelque chose de plus sérieux. Je perdais mon temps avec ce genre de niaiseries. N'empêche, si cette nouille m'avait laissé lire mes trucs, j'aurais probablement perdu moins de temps en français.

Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui aiment beaucoup la série Alibis inc.?

Sincèrement, non. En fait, je ne lis pas beaucoup de romans pour ados et pas beaucoup de suspense. Alors déambulez dans une bonne bibliothèque et profitez du choix qui s'offre à vous ! :-)))
 
 
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