La lecture autonome au secondaire

 
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6 avril 2022

Je suis avec grande attention tous les billets publiés par le groupe Les ateliers de lecture et d’écriture au primaire. Non seulement j’admire ses autrices, des pédagogues inspirantes et bienveillantes, mais j’y trouve fréquemment des éléments qui font écho à la réalité du secondaire et que leurs réflexions nourrissent la mienne du côté de la pédagogie. Cette semaine, le texte d’Isabelle Robert, intitulé « Une combinaison de facteurs pour rendre la lecture autonome profitable et engageante » m’a particulièrement interpelée, si bien que j’ai eu envie d’en écrire cette version « secondaire », avec son accord. Je me base donc sur son article pour réfléchir à ce qui est pertinent avec les plus vieux. Sachez que toutes les citations de ce texte proviennent de l’article d’origine, que vous pouvez retrouver ici. Bonne lecture !

De plus en plus, les élèves arrivent du primaire avec une expérience de lecture quotidienne. Au primaire, iels ont eu accès à des périodes de temps plus ou moins longues de lecture autonome, ce qui leur a permis de développer des habiletés de lecteurs et de lectrices, mais aussi de rencontrer une pluralité d’œuvres.

La réalité au secondaire n’est pas la même. Si certaines écoles instaurent le « 15 minutes de lecture » pour tou.te.s une fois par jour (particulièrement profitable, tant pour les adultes que pour les adolescent.e.s), elles ne sont pas légion et il incombe souvent à l’enseignant.e de français de prendre le temps de classe pour instaurer cette habitude.

Ce n’est pas aisé.

Je connais les réalités de classe. Je sais qu’on manque de temps pour tout, qu’on coupe déjà dans beaucoup d’éléments et qu’il y a tout un programme à passer. Mais la lecture autonome change des vies (oui, oui, c’est aussi dramatique que ça) et on ne peut pas espérer que l’ensemble de nos élèves prendra de son temps personnel le soir pour en faire, encore moins quand ces derniers ont une difficulté d’apprentissage et finissent la journée en surcharge cognitive. Si on veut montrer que la lecture est importante, primordiale, si on veut leur permettre de développer leurs habiletés, de se construire une base littéraire, de cultiver leurs connaissances générales, de s’enthousiasmer pour des livres, il faut leur offrir du temps de lecture. Obligatoire. Encadré. De QUALITÉ.

Comme l’écrit Isabelle Robert, « pour que la lecture autonome soit profitable, la mise en place de conditions gagnantes est nécessaire. En plus de la fréquence de ces périodes de lecture, d’autres facteurs sont à considérer », notamment l’idée que la lecture en classe doit se rapprocher de celle de la « vraie vie » si on veut que ces habitudes perdurent.

Le temps

Le temps est le nerf de la guerre. « Selon Richard Allington, il existe une corrélation directe entre le développement des habiletés de lecture et le temps accordé à la lecture autonome. » Il en faut, et suffisamment, mais pas trop, parce que les horaires sont serrés. Idéalement, on peut prévoir 15 minutes par cours de 75 minutes.

En effet, les lecteur.trice.s ont besoin de temps pour « entrer dans leur zone », pour s’immerger dans le livre. « Ce temps de lecture permet à l’élève de transférer l’enseignement qu’il a reçu à sa propre lecture », mais aussi à l’enseignant de pouvoir accompagner ses élèves : s’arrêter à côté de certain.e.s, discuter de leur lecture, de leurs difficultés, faire des propositions, échanger sur des points de vue. Nourrir ses lecteur.trice.s.

Pour être optimal, ce temps devrait aussi être planifié, au début ou à la fin, et toujours suivre le même horaire. Le cerveau est alors préparé, tout va plus vite. Un cinq minutes de lecture autonome entre deux ateliers, pour faciliter la transition, ou à la fin d’un cours qui a finalement pris moins de temps que prévu peut sembler être mieux que rien, mais de nombreux.ses élèves n’arrivent pas à se concentrer si le temps est trop court ou s’iels n’ont pas été prévenu.e.s à l’avance. La spontanéité peut être parfois bienvenue, mais elle n’offre pas à tou.te.s un moment de lecture autonome de qualité et il faut tenir compte de cela.

(Le petit plus ? Un temps de lecture de qualité pour certains, c’est aussi avec des écouteurs et de la musique. Pour d’autres, assis dos à un mur, les jambes allongées. La posture du corps à l’adolescence est importante et associer la lecture à un sentiment corporel de qualité est un plus !)

Le choix

Au secondaire, les romans obligatoires sont souvent la norme. Je n’ai rien contre, il est intéressant d’amener ses élèves à se questionner en groupe sur une œuvre, de développer une culture littéraire de classe, mais aussi une culture générale, de approfondir l’analyse de certains textes.

Toutefois, ce qui crée vraiment des lecteur.trice.s, c’est la liberté dans le choix. Après tout, quel adulte laisserait un tiers choisir toutes ses lectures d’une année ?

Il ne faut pas sous-estimer le bonheur de trouver un récit qui nous parlera plus particulièrement, qui résonnera avec qui on est ici, maintenant. Et pour ça, il faut offrir le libre choix, mais aussi donner accès aux livres. Encore ici, même si on souhaite que chacun.e se rende à la bibliothèque ou à la librairie sur son temps libre, il faut prévoir le coup. Avoir en classe plusieurs titres qui pourraient les intéresser ou encore les dépanner en cas « d’oubli ». Oui, avec une bibliothèque de classe quand c’est possible, mais je connais la réalité du terrain et je n’ai pour ma part jamais eu de classe « à moi ». Si j’avais opté pour un charriot qui me permettait de trimbaler une bibliothèque mobile, je connais aussi nombre d’enseignant.e.s qui amènent cinq ou six livres différents sur le coin de leur bureau en variant les niveaux de lecture ainsi que les genres.

Les discussions

« Un autre facteur important pour rendre la lecture autonome engageante et profitable est les discussions entre les lecteurs. » Encore plus à l’adolescence, alors qu’on sait que nos élèves ont besoin de social et de partage.

« Ces discussions, parfois avec l’enseignante, parfois avec les pairs, permettent de développer les habiletés de compréhension plus approfondies et nourrissent l’appétence à lire et apprécier des œuvres littéraires. Lire en sachant qu’on en parlera avec des copains permet de lire avec une intention de partager sa compréhension, ses questionnements, son appréciation, ses interprétations… »

Si on manque parfois de temps pour démarrer les discussions en grand groupe – et par peur de se retrouver devant un bocal de « poissons rouges » silencieux – les conversations littéraires en petits groupes peuvent être vraiment bénéfiques. Non, elles ne sont pas toutes fabuleuses, mais il existe des moyens faciles et efficaces pour faire en sorte qu’elles demeurent pertinentes et qu’elles permettent à chacun.e de développer des habiletés :

1. Je demande à ce que les conversations soient enregistrées, soit via un iPad soit un cellulaire. Je ne réécoute pas tout, mais ainsi je sais que mes groupes plus « tendancieux » se concentreront davantage sur le sujet.
2. En début d’année, quand les élèves sont peu habitué.e.s à ce genre de tâche et ne savent pas de quoi discuter, j’utilise des « cartes de questions » qui les guident dans les discussions. Au cours du temps imparti, iels pigent un certain nombre de questions (touchant les quatre dimensions de la lecture) auxquels iels doivent répondre, chacun.e par rapport à son livre.
3. Il est aussi intéressant de modeler (et de modeler encore). Enseignante en adaptation scolaire, Anouk Simpson lit avec ses élèves, devant eux, et leur parle de ses lectures, même si ce sont des livres qui ne sont pas adéquats pour elleux. Au quotidien, ses élèves la voient lire et réfléchir à ses lectures, ce qui leur donne des pistes pour leurs propres prises de parole.

Comme le rappelle avec justesse Isabelle Robert, « ces discussions de lecture forgent l’identité des élèves et enrichissent la communauté de lecteur.trice.s. Ils apprennent sur eux et sur les autres, développent leur empathie et s’ouvrent sur ce que les autres ont à partager. » Ces échanges nourrissent aussi les envies littéraires ainsi que les liens entre les livres, en plus de permettre de travailler certaines notions vues plus spécifiquement en classe (la narration, les figures de style, etc.) Si Isabelle Robert le suggère deux ou trois fois par semaine, je réserverais une période par semaine au secondaire pour le faire, afin de permettre à chacun d’échanger, d’apprendre, de découvrir, « un peu comme nous le ferions nous-mêmes dans une discussion au resto avec trois ou quatre copains. »

Le travail de l’enseignant.e

« Un facteur à considérer pour que la lecture autonome soit engageante et profitable est le travail de l’enseignant. En plus d’accorder du temps de lecture, il est nécessaire d’enseigner des habiletés de lecture utiles aux élèves qu’ils mettront à profit par la suite dans leurs propres lectures. »

On a parfois l’impression que la « technique » de lecture s’enseigne au primaire et qu’elle est ensuite acquise au secondaire, mais ce n’est pas forcément le cas et tou.te.s nos élèves peuvent bénéficier de minileçons, offertes juste avant la période de lecture autonome, qui abordent des habiletés, des points liés au style, à la compréhension ou encore à la posture de lecteur.trice. Les stratégies de lecture ont beau être répétées d’année en année, elles ne sont pas toutes ancrées et, souvent, elles méritent d’être revisées en fonction du texte lu. On ne travaille pas les connaissances préalables de la même façon pour une œuvre psychologique ou pour un roman historique !

Par ailleurs, le temps de lecture autonome est l’occasion idéale pour l’enseignant.e de faire le point sur l’avancée de chacun. Cela lui permet par ailleurs se garder un temps pour les lecteur.trice.s plus récalcitrant.e.s, qui ne trouvent pas chaussure à leur pied. C’est le moment parfait pour discuter avec elleux des raisons de leurs peurs, de leurs difficultés (ces dernières étant souvent liées aux premières), de leur suggérer des titres différents qui pourraient leur plaire. Bref, si je dis fréquemment que l’enseignant.e gagne à lire devant sa classe et à être un.e modèle, c’est aussi important qu’iel prenne du temps de suivre la progression de chacun.e et de montrer à tou.te.s qu’iel est là, présent.e, capable de les guider, de discuter, de les aider.

« Une combinaison de tous ces facteurs est essentielle pour rendre la période de lecture autonome engageante et profitable, pour développer la compétence à lire et l’appétence pour la lecture. »

La non évaluation

Ce qui distingue aussi les classes de secondaire des classes de primaire, c’est le poids des expériences passées des lecteur.trice.s de nos classes. Si certain.e.s s’engagent facilement dans une activité de lecture, voient cette liberté comme une occasion d’avancer leurs livres favoris, d’autres résistent. Repoussent les livres. Certain.e.s ont des difficultés d’apprentissage, mais ce nombre ne dépasse pas 10 %. Et pourtant, iels sont souvent plus de 10 % à dire « ne pas aimer lire » et à de désengager des activités de lecture autonome. Si plusieurs facteurs peuvent se cacher derrière ce manque de motivation, il ne faut pas sous-estimer le lien très clair que plusieurs ont fait entre lecture et évaluation. Entre lecture et mauvaise note, donc dévalorisation. La lecture prend l’allure d’un champ de mines. Lire, c’est peut-être ne pas ou « mal » comprendre alors ces élèves deviennent passif.ve.s, dépendant.e.s, peu enclin.e.s à prendre des risques.

Pire, iels ont développé des habiletés stupéfiantes pour réaliser les tâches d'évaluation et affronter des textes imposés : la lecture sélective de parties du texte à lire, la recherche sur internet pour la vue globale et l’écoute attentive de l’analyse des autres. Tout plutôt que de lire véritablement le texte.

Pour être pleinement efficace, la période de lecture autonome devrait donc être complètement libérée d’évaluation (ce que la discussion n’est pas, puisqu’on réfléchit à un texte, qu’on fait des liens et qu’il n’est pas question de « bonne » réponse ou de point) afin que les lecteur.trice.s puissent revenir au but premier : lire pour le plaisir, pour soi, trouver son bonheur dans un livre. Que cette tâche ait un but personnel significatif. Et ainsi développer un attachement à ce médium qui permettra ensuite plus facilement de s’ouvrir à d’autres œuvres.

Alors, une période de lecture autonome au secondaire ? Oh oui ! C’est compliqué, je sais, et on manque parfois de temps, mais ça soutient l’apprentissage, ça permet à chacun.e de développer ses habiletés et son envie personnelle tout en offrant à l’enseignant.e la possibilité de suivre la progression de chacun.e. Ça me semble incontournable !  

Merci à Isabelle pour l'autorisation de publier ce texte écho, et à Anouk et Marie-Andrée pour leur relecture attentive !
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Carine Paquette (07.04.22 à 20 h 31)

Il peut être intéressant de faire appel aux technicien(ne)s en documentation ou bibliothécaires des écoles secondaires également pour allumer des petites étoiles. Je suis technicienne en documentation, et cette année, à la demande d'un enseignant de français de 1re secondaire, je vais présenter des livres sur différentes thématiques une fois par cycle dans sa classe (romans, bds, mangas, documentaires, albums). Par exemple, les superhéros, les jeux vidéos, "les enfants en vedette", spécial albums, etc. Le personnel des bibliothèques peuvent être un atout majeur dans le goût de la lecture des élèves. Des belles discussions avec les élèves en ressortent. Et ce n'est pas obligé d'être long. Un petit 10 minutes suffit pour créer un intérêt!
Marilou Collette (28.08.22 à 15 h 08)

J’adore et j’adhère à 100% !!

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