Entrevue avec Christophe Léon

 
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21 juin 2011

J'ai lu plusieurs bons commentaires il y a quelques mois à propos de Délit de fuite sur des blogs de lecteurs que je fréquente et, après avoir attendu patiemment que le bouquin soit disponible à ma bibliothèque, je n'ai pas été déçue! C'est le premier roman que je lis de cet auteur, mais ce ne sera pas le dernier tant j'ai aimé son écriture. Délit de fuite a d'ailleurs éveillé ma curiosité et Christophe Léon a été très sympathique en acceptant de répondre à mes questions! Voici notre entretien...

Quelle a été votre inspiration pour Délit de fuite?

 
Tout simplement une information lue dans un journal local, qui relatait un délit de fuite routier. Je me suis posé la question de savoir quelles relations entretiendraient un fils avec son père (et avec les victimes) après un événement comme celui-ci, comment réagissent les acteurs d'un drame qu'ils ne sont évidemment pas prêts à affronter.
 
Pourquoi avoir choisi une narration au “je” pour Sébastien et au “Tu” pour Loïc?
 
Pour créer une distanciation. Il me semblait impossible qu'un narrateur omniscient « raconte » cette histoire, mais je ne pouvais pas non plus donner une seule vision, une seule voix, celle de Sébastien. Le « tu », je crois, conforte Loïc dans une position à la fois de victime et de « révélateur ». L'opposition entre les deux narrations leur permet de se compléter et se répondre
 
Avez-vous écrit les deux narrations en parallèle ?
 
Non. Plutôt en les imbriquant l'une dans l'autre. En fait, il n'y a aucun montage. Je n'ai pas cherché à scénariser, chaque chapitre a entraîné le suivant qui répondait, en quelque sorte, au précédent.
 
L'histoire tourne beaucoup autour de la relation père-fils. Est-ce important pour vous de traiter de ce thème ? Et de celui de la responsabilité sur la route ?
 
Les relations enfants-père-mère sont un sujet qui me concerne dans la vie quotidienne en tant que parent. Elles passent par toutes les couleurs, tous les excès et sont le sujet à bien des joies ou des incompréhensions. Bref, elles sont un puits sans fond, une mine d'or pour le romancier. À considérer que notre personnalité se modèle en grande partie durant les vingt premières années de notre vie, cette « matière première » est, pour moi, la source la plus intéressante à laquelle puiser.

Pour ce qui concerne la responsabilité sur la route, trop de conducteurs n'ont pas conscience que la voiture peut-être une arme dangereuse et que leur permis ne les autorise pas à tuer.

La responsabilité personnelle est aussi un sujet passionnant et multiple qui façonne nos comportements de tous les jours — environnement, éducation, politique, amour...
 
Pourquoi avoir choisi de laisser la fin du roman aussi ouverte ? N'est-ce pas laisser le lecteur sur sa faim ?
 
Au contraire. Je pense qu'une fin ouverte incite le lecteur à imaginer, réfléchir, se poser des questions. Tout dire, tout expliquer, surtout pour une histoire comme celle-ci, c'est un peu fermer des portes.

Et puis, c'est certainement aussi mon expérience de lecteur qui fait que je n'aime pas être tenu par la main de la première à la dernière page d'un livre. Je préfère participer à ma lecture, quitte à être « frustré » ou franchement en désaccord avec l'auteur. Lire, me semble-t-il, c'est aussi débattre avec les personnages, se poser des questions — comment aurais-je réagi, que ferais-je si je trouvais dans les mêmes circonstances ?
 
Est-ce que le roman a beaucoup changé entre sa première version et celle que tous peuvent maintenant tenir entre leurs mains ?
 
Non du point de vue de l'histoire et de son déroulement. Bien sûr, après avoir écrit un premier jet, il faut travailler ce qu'on appelle la « langue ». Le fond reste, c'est peut-être la forme qui, elle, est sujette à des variations et des ajustements.
 
D'après vous, comment arrive-t-on à toucher le lecteur en si peu de pages ?
 
Je n'en ai aucune idée. Je me fie à des indicateurs très personnels : mon épouse et ma fille qui sont les premières lectrices de mes manuscrits. Leurs avis comptent beaucoup, même s'ils sont parfois « raides » et durs à encaisser.
 
Quelle est la différence dans l'écriture entre un roman pour adultes et un roman jeunesse ? Avez-vous une préférence ?
 
Je n'en vois guère quant à la forme. Sur le fond, j'ai davantage de sujets à traiter en jeunesse qu'en adulte, et plus de latitude pour le faire. L'éventail des codes et des possibilités est plus large en jeunesse. Écrivant pour les deux, je crois que je préfère très nettement écrire pour les ados.
 
Qu'est-ce que vous préférez du processus d'écriture ? Qu'est-ce que vous aimez le moins ?
 
L'excitation d'écrire et l'espèce de bulle dans laquelle vous vivez lorsque vous écrivez. La solitude aussi.
Ce que j'aime le moins ? L'attente entre deux périodes d'écriture et l'idée que je ne pourrais peut-être plus « y arriver ».

Comment peut-on amener des adolescents à lire ?
 
Si j'étais provocateur, je dirais : en supprimant la télévision, les jeux vidéos et le téléphone portable. Mais comme je suis, en ce domaine, un radical modéré, je dirais : en supprimant la télévision, les jeux vidéos et le téléphone portable.
 
Enfant, étiez-vous un grand lecteur ? Étiez-vous un lecteur de littérature jeunesse avant d'en écrire ? 
 
Pas vraiment, et je le regrette.  J'ai découvert assez tard la lecture et ses plaisirs. Je n'ai lu (et écrit) que vers la quarantaine. Aujourd'hui, je lis principalement des essais et des documents ayant attrait aux sciences sociales et à l'environnement.

Je pense que la lecture est l'un des derniers actes « révolutionnaires » dans ce monde productiviste et marchand, dans le sens où vous ne produisez rien en lisant. Elle est gratuite, et la gratuité fait peur au système. Elle offre la possibilité de se constituer sa propre boîte à outils et d'avoir les moyens de choisir — il ne suffit pas d'avoir le choix, encore faut-il pouvoir choisir, et la lecture, ce qu'elle vous donne, est une ressource essentielle pour l'accès à ce pouvoir.

Rafale lecture ! 
 
Qui vous a donné le goût de lire ? Comment cette personne a-t-elle réussi à développer ce lien entre vous  et les livres ?
 
Impossible de répondre à cette question. Ce n'est pas une personne en particulier, mais une contingence. La maladie m'a tenu au lit un certain temps et je me suis mis à lire.
 
Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres ? Pouvez-vous nous expliquer ce lien ?
 
Avidité. Je suis devenu un lecteur compulsif. Je pense que le fait d'avoir lu sur le tard m'oblige à rattraper le temps perdu.

Quel roman a marqué votre adolescence ?
 
Disons que mon adolescence à davantage été traversée par des publications telles que Hara Kiri ou Pilote que par des romans, si ce n'est ceux, très classiques, qui se trouvaient dans la bibliothèque familiale (les Jules Verne par exemple).
 
Quel est le livre sur votre table de chevet ?
 
Actuellement ils sont au nombre de trois : Même les truites ont du vague à l'âme, de John Gierach ; L'impératif de désobéissance, de Jean-Marie Muller ; Plus de poissons d'ici 30 ans ?, de Stéphan Beaucher.
 
Dans quel endroit préférez-vous lire ?
 
N'importe où.
 
Quel est le livre que vous aimez beaucoup, mais que vous avez un peu honte de révéler ?
 
Si j'ai honte de révéler ce livre-là, c'est que je ne l'aime pas beaucoup, non ? Les livres que j'aime, j'ai envie d'en parler, comme tous ceux de Richard Brautigan, par exemple.
 
Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont beaucoup aimé Délit de fuite ?
 
La Centrale, d'Élisabeth Filhol. Ce n'est pas un roman jeunesse, mais un texte abordable pour un ado, qui parle avec humanité et justesse d'un sujet brûlant.

Le site web de Chritophe Léon ici
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