Entrevue avec Marie-Aude Murail

 
Partagez sur Facebook Parlez-en sur Twitter

9 décembre 2016

À l'occasion de la sortie de Sauveur & Fils - Saison 2, Marie-Aude Murail est venue faire un court séjour en Belgique et j'ai eu la chance de la rencontrer pour discuter écriture, littérature jeunesse et inspiration ! Voici mon entretien avec cette grande auteure qui a charmé le public jeunesse depuis longtemps maintenant et continue de nous surprendre. 

Qu’est-ce qui fait ce que public jeunesse a de si particulier pour qu’on s’y attache si fort?

Je sais qu’il me rend meilleure, voilà. Ça me fait du bien d’être avec eux. Et puis j’ai toujours écrit pour la jeunesse, même quand j’étais petite. Si je ressortais mes carnets, vous verriez qu’il est écrit : Ce journal est destiné aux enfants de 7 à 12 ans. Je dois en avoir douze ou treize. C’est mon ancrage.

Vous écrivez pour la jeunesse, mais votre public est aussi composé d’adultes.

Oui, je m’en rends maintenant compte. Je m’en suis aperçue dans les salons. Il y a trente ans, des adultes venaient me voir en me disant « voilà, je vous ai lu parce que j’ai une fille et que je veux voir ce qu’elle lit », ils étaient encore un peu embarrassés, peut-être qu’ils avaient peur que je les prenne pour des débiles. Maintenant, c’est tombé. Et j’ai des enfants qui ont grandi, devenus ados, adultes et qui ont continué à lire de la littérature jeunesse. Ils ont fait le passage vers la littérature adulte, oui, mais ils ne renient pas leurs amours anciennes et continuent à lire certains types de littérature ou certains auteurs, certaines maisons d’édition. Ils reviennent parfois avec leurs enfants, rachètent les livres qu’ils ont aimé, eux.

Ce doit être des rencontres très riches…

Et déstabilisante. Les premières fois, je cherchais l’enfant. Était-il caché derrière l’adulte? Mais il était dedans, en fait. En fait, je suis quand même majoritairement lue par des jeunes, mais ceux qui viennent plus facilement vers moi et osent me parler, ce sont souvent les adultes.

Que lisiez-vous lorsque vous étiez adolescente?

Il n’y avait que très peu de littérature dite « jeunesse », on n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent alors outre les livres de mes frères, par exemple les Arsène Lupin, je prenais tout ce qui me tombait sous la main. Et je lisais un peu n’importe quoi parce que mon père avait une immense bibliothèque. Quand il était petit, son père lui donnait de l’argent pour aller au cinéma, il regardait les affiches… et utilisait l’argent pour acheter des livres.  Alors, de de temps en temps, mon père me lâchait un commentaire du genre : « Anatole France, c’est pas mal. » Alors j’ai lu tout Anatole France à 12, 13 ans. C’était pas mal, c’est vrai. En me voyant grandir, il me parlait d’œuvres, pas toujours adaptées à mon âge, mais que lui avait lui quand il était jeune.

Croyez-vous qu’il savait ce qu’il faisait en vous parlant de ces livres?

Non, parce qu’il partait de ses souvenirs, parfois lointain, et me donnait des livres qu’il pensait pouvoir m’intéresser. C’est ainsi je me suis retrouvée à lire des choses assez improbables, comme un livre sur les Grecs et leur sexualité, mais pour une adolescente qui en est à la découverte, ça ne pouvait pas mieux tomber.

La littérature jeunesse a bien changé…

Oui ! Les jeunes peuvent lire de tout, maintenant, et ont accès à une littérature de qualité. Il y a vraiment un grand choix, on peut lire des classiques, des romans graphiques, des albums, des romans…

Lisez-vous toujours de la littérature jeunesse?

Oui, cet automne j’ai lu un peu le programme de l’école des loisirs et j’ai particulièrement aimé Renommer de Sophie Chérer, un livre qui pose le problème de la frontière. Un livre sur les mots et l’étymologie, qui explique ce qu’il y a dans le mot « école », etc. C’est un livre pour la jeunesse, mais qui pourrait intéresser les adultes.

Comment s’est créé le lien si fort entre l’école de loisirs et vous ?


C’est Monsieur Jean Fabre, qui avait d’ailleurs des opinions assez décoiffantes sur la littérature jeunesse, qui m’a repérée grâce à un manuscrit qui est passé dans un concours du Ministère de la jeunesse. J’ai été sélectionnée, j’ai été invitée, mais j’ai perdu. Je le dis souvent aux ados : regardez-moi bien, je suis une perdante. Alors on s’en remet !

Et puis ce manuscrit il a été distribué à des éditeurs comme ça, et monsieur Fabre m’a téléphoné et on a commencé à travailler ensemble.

Quel âge aviez-vous à cette époque?

La jeune trentaine. À cette époque, j’écrivais des histoires d’amour pour la presse féminine avec un pattern assez strict. J’en ai écrit une centaine sous différents noms pour ne pas que ça paraisse, mais je me suis vraiment bien amusée parce que j’aime beaucoup les histoires d’amour. Et puis les jeunes auteurs ont tendance à tout mettre sur la table, sans recul. Mais là j’ai dû apprendre à penser autrement. Je ne pouvais pas partir de moi. Mon éditrice me disait : « Pense à la coiffeuse. »

Comment est venu le premier livre pour adolescents?
 

C’est avec le magazine Je Bouquine pour les adolescents en France. Au centre, il y avait une grosse nouvelle. J’avais commencé à écrire pour J’aime Lire, et Je Bouquine m’ont repérée, m’ont fait venir à une réunion. Ils cherchaient un héros récurrent pour fidéliser le lectorat et pensaient à moi.

Ils m’ont donné toute une pile de Je Bouquine. Je ne voyais pas trop la nécessité de cette littérature spécifique parce que j’avais grandi sans. Je voyais bien qu’il faut adapter le langage et prendre en compte les compétences de lecture pour les petits, mais pour les ados, je n’étais pas convaincue. J’ai quand même lu les Je Bouquine avec mon fils de onze ans. Il a fait son top 3 et moi le mien. Ça a donné Torpédo chez les gangsters de son côté et Coup de foudre du mien. Je me suis dit qu’il devait y avoir une littérature genrée et j’ai eu envie de faire Coup de foudre chez les gangsters, quelque chose qui arriverait à joindre les deux.

Ce qui m’avait accroché dans Coup de foudre, c’était que c’était écrit au « je » par une fille ado. C’est là que j’ai vu la différence : dans la littérature pour adultes, il n’y a pas, il n’y avait pas à cette époque, d’ado qui parlait. J’ai donc essayé au « je », ado, masculin. Et je l’ai appelé Émilien. Je leur ai donc envoyé la première partie de Baby-sitter blues. (C’est pour ça qu’il y a deux parties dans Baby-sitter blues, ce sont deux Je bouquine refusés) La rédaction m’a dit que j’avais tout compris, mais qu’il fallait changer le titre et plusieurs détails. Pour une fille qui avait tout compris, j’avais quand même une longue liste de récriminations ! J’ai dit : « Attendez, j’ai la suite ! » Mais la suite n’allait plus du tout. C’était un magazine plus ou moins catho et dans la deuxième partie le gamin se met à voler, la mère ne réagit pas vraiment, ça les embêtait. Donc ils ont voulu prendre le premier, mais pas le deuxième. J’ai refusé. C’était tout ou rien. Alors je suis allée voir Geneviève Brisac, qui était arrivée à l’école des loisirs, et elle a dit qu’elle le prenait, sans changer une virgule.

Dans Sauveur et fils, le personnage principal n’est plus adolescent.

Sauveur et fils est un roman pour les adultes… à partir de 12 ans. Comme Hergé disait qu’il écrivait pour les enfants de 7 à 77 ans. J’ai fait mon virage avec le personnage de Nils Hazard, qui ne peut pas être plus adulte. Je me suis demandé si c’était possibe, un personnage adulte en littérature pour ados. J’avais fait un petit test chez les enfants, avec une histoire passée plus ou moins inaperçue, qui s’appelle Un dimanche chez les dinosaures. C’est un papa qui doit passer un dimanche avec ses enfants et se démerder, s’ajuster progressivement. C’est un « je » de papa. Et ça fonctionnait.

J’ai aussi réfléchi avec ma fille. Je voyais bien quand elle était petite qu’elle aimait Titeuf et les livres au « je », mais qu’à la télé ce qu’elle regardait c’était les histoires d’amour du collège, alors qu’elle avait huit ans. Ce qui l’intéressait, c’était la vie des plus grands. On l’a amenée voir des films pour les grands, comme You’ve got mail, et à la fin de ce film elle m’a dit : J’ai pleuré d’amour. Alors j’ai écrit Noël à tous les étages, un J’aime lire dans lequel l’histoire d’amour au centre est celle d’un jeune homme et d’une jeune fille.

Ensuite, j’ai tenté le coup avec les ados. J’ai eu peur au démarrage. Avec Nils, j’ai mis le personnage en constante relation avec des ados. Son miroir est toujours un jeune, pas un adulte. Il se retrouve sans arrêt à s’occuper d’histoires d’ados, je regardais ce qui fonctionnait.

Puis, comme j’avais envie de donner la même importance à toutes les tranches d’âge et les classes sociales, j’ai arrêté d’écrire au « je ». Et ça donne Sauveur.

Et comment ont été créés tous ces personnages autour de Sauveur?

Ils sont arrivés dans ma vie pour commencer, ce n’est pas très éloigné de moi.  Par exemple, Jovo, le vieux légionnaire, est débarqué dans la vie de mon mari, qui l’a suivi jusqu’à sa mort. C’est alors qu’il s’est aperçu qu’il avait un fils et l’a fait venir à l’enterrement alors que le vieux monsieur ne l’avait jamais dit. Et puis c’est le fils qui m’a donné des informations sur le père et on a compris qu’il n’avait pas été que légionnaire, qu’il avait monté plusieurs plans… et comme il fascinait tout le monde, j’ai eu envie de l’intégrer.

Est-ce que Sauveur et fils a été créé dès le départ comme une série?

Non. En fait, ce qui a fait changer les choses, c’était la frustration du premier lecteur : « eh bien, qu’est-ce qu’il devient, celui-là? » Je me suis rendu compte que certains n’étaient pas tirés d’affaire, c’est vrai. Le petit Cyril allait s’en sortir, mais les autres… Gabin, Margaux… j’ai eu envie de poursuivre.

Écoutez un extrait de la Saison 2, lu par Marie-Aude Murail :

 

Et dans cette Saison deux vous placez des éléments pour la suite. Par exemple, Gabin a un billet sur le Bataclan, le soir des attentats.

Oui. Je ne veux pas le jouer comme un suspens malsain, mais j’avais envie d’en parler. Je l’ai mis au milieu pour qu’on voie comment cet attentat a eu des répercussions sur tout le monde, par exemple sur tous ceux que soigne Sauveur. Je voulais trouver une parole, aussi pour madame Dumaillet dans sa classe, qui au début se dit : « Bon, je vais commencer quand même par le chant et… ce n’est pas l’État islamique qui va décider de mon planning ! » Elle se révolte, mais ça ne va pas être possible…

À suivre !

Vous avez trouvé une faute ? Oui, j'en laisse parfois passer. N'hésitez pas à me la signaler à sophiefaitparfoisdesfautes@sophielit.ca et je la corrigerai ! Merci et bonne lecture ! :-)
Parcourir les archives

Ajoutez votre voix à la conversation

Nouveau commentaire

(ne sera pas affiché)
Votre commentaire :

Ce site aime la langue française, merci de ne pas trop la maltraiter dans votre commentaire.
ANTI-SPAM : Combien font 2-1, écrit en lettres ?
Réponse : (indice : entrez un chiffre inférieur à deux)
• • • •