Avec la fermeture des écoles secondaires confirmée jusqu’à la fin aout est venu pour moi une série de petits deuils : pas de gala de fin d’année, pas de routine de tri en groupe des souvenirs accumulés, la mise en veilleuse de lectures planifiées avec mes jeunes et surtout, un certain abandon d’un des grands privilèges d’enseigner : celui d’avoir accès à ce qui se passe dans la tête des élèves lors de leurs réalisations. Colliger des productions finies en étant absente du processus, c’est franchement peu satisfaisant.
Il est primordial pour moi de trouver des façons d’intégrer la littérature comme outil de démarrage d’activités, et ce, même dans mon enseignement à distance. Après un instant (en fait plusieurs) de panique, me demandant comment j’allais faire en plus pour juger de leur travail sans la possibilité de leur donner à un processus de rétroaction et de validation concrète et réaliste, j’ai choisi de proposer cette semaine une activité qui portait sur l’explicitation des processus métacognitifs en écriture.
Ok. Belle idée, mais c’est un projet ambitieux à réaliser à distance. Je valide normalement ces processus en entretiens informels en classe pendant des périodes de travail ou d’ateliers, par exemple. Au nombre d’élèves que j’accompagne en étant titulaire, il m’est impossible de réaliser des entretiens individuels virtuellement et le faire en groupe ne correspondait pas bien à ce que je voulais entreprendre (gérer plusieurs élèves en difficulté d’apprentissage via la vidéoconférence, en n’ayant fait avec eux aucun entrainement au préalable, c’est complexe).
J’avais déjà prévu lire avec mes élèves des extraits du roman Comment je suis devenu cannibale de l’incomparable François Gravel en préparation à leurs projets d’écriture de fin d’année. Dans son livre, l’auteur québécois nous donne accès à la fois à la narration de l’histoire et à son processus cognitif. Au départ, on pourrait croire que le résultat est un peu chaotique et que la compréhension est difficile, mais ce n’est pas du tout le cas ! Ça en fait un outil pédagogique ultra-précieux et authentique : avoir accès aux pensées d’un auteur en cours de rédaction est un privilège et peut faire en sorte d’éliminer certaines conceptions erronées de l’écriture en examinant le processus (par exemple, on pourrait croire qu’un texte s’écrit d’un seul jet, sans changements et en ayant en tête tous les éléments d’intrigue dès le départ, alors qu’il n’en est rien).
Ce livre est par conséquent l’outil de modelage idéal pour leur demander de produire (à l’écrit, à l’oral ou en vidéo – pourquoi pas !) un travail qui me permettra de constater ce qu’ils mettent en place pendant leur écriture. C’est aussi et surtout une belle occasion de leur faire prendre conscience, pour eux-mêmes d’abord, de tout ce qui se passe dans leur tête quand ils écrivent ! Et comme je ne suis pas à côté d’eux pour leur rappeler, pourquoi pas leur demander de le faire de façon autonome ?
La tâche sera donc de choisir un texte qu’ils ont produit récemment et de le commenter, à la manière de François Gravel dans son roman, pour m’expliquer leurs choix, leurs doutes et changements de plan en cours d’écriture. Ils ont aussi la possibilité de commenter leur texte au passage en prenant le rôle d’un éditeur et en proposant des améliorations. Mes exigences quant à la teneur des commentaires sont très larges : le but ici n’est pas de copier une démarche, mais bien d’expliciter la leur, quelle qu’elle soit.
Cette proposition d’activité me permet, d’une part, de varier les propositions en ne leur demandant pas cette semaine encore d’écrire un texte à proprement parle et, de l’autre, de valider mes observations formelles sur leurs textes. Si, pendant l’activité, ils voulaient faire des modifications à leurs productions, je les prendrais évidemment en considération dans mon jugement (c’est aussi un peu l’objectif).
J’ai très hâte de lire leurs productions !
Merci à Stéphanie Durand, éditrice, qui nous a donné la permission de lire des extraits et de les présenter. Continuer d’offrir des activités créatives qui intègrent la littérature à mes élèves confinés est important pour moi : ce n’est pas parce qu’on est hors de notre classe physique que l’on change notre identité comme enseignant, et on peut rêver au jour où on reviendra tous ensemble physiquement pour partager une lecture ou deux.
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