Entrevue avec Laurent Verron

En visite à Québec dans le cadre du Festival de Bande dessinée Francohone du Québec au Salon international du Livre de Québec pour son travail d’illustrateur sur Boule et Bill, Laurent Verron a été surpris de la réception positive de sa série, terminée, Fugitifs sur Terra II. Parue à partir de 2005, cette série de science-fiction est toutefois exactement dans l’air du temps avec son ambiance dystopique et ses personnages adolescents et elle a l’avantage d’être complète.

L’histoire d’une princesse adolescente et de son garde du corps orang-outan forcés de s’enfuir après l’attaque d’un général de l’armée est née d’un souhaite commun entre Cric, scénariste, et Laurent Verron. Ils travaillaient déjà ensemble sur Boule et Bill, mais souhaitaient lancer une série jeunesse dans laquelle ils voulaient explorer les relations humaines entre des adolescents, l’âge n’étant jamais vraiment précisé, issus de milieux sociaux complètement différents, le tout avec une aventure relativement classique en toile de fond. Il a fallu deux ans pour que les discussions mènent à cette histoire où la princesse Balti et son garde du corps, Bakou Nine, doivent former une équipe avec Tiph, la fille d’un cuisinier du palais, une jeune fille un peu jalouse de la princesse s’étant cachée dans le vaisseau, et Pablo, le fils d’un fermier, afin de survivre. 

Si le choix du garde du corps peut surprendre, après tout, les orangs-outans génétiquement modifiés ne courent pas les rues, il est tout à fait efficace dans le contexte. « Cric sait que j’aime bien dessiner des animaux », dit Verron. Le personnage était d’abord un petit diablotin, mais il a énormément changé au fil des discussions. « J’avais besoin de quelque chose qui soit physiquement proche des êtres humains, avec des mains et des pieds. » Le choix final cadre tout à fait, la force brute du singe allant avec le côté « arme de destruction » voulu au départ, mais pouvant aussi amener des scènes plus tendres, comme celle où les adolescents se réfugient dans les bras de Bakou Nine pour dormir. 

Le cadre science-fictionnel aussi a fait sortir Laurent Verron de ses habitudes.

« Cric voulait des vaisseaux spatiaux et tout, et ce n’était pas dans mon habitude, mais j’ai essayé et j’y suis arrivé. L’avantage de la BD, c’est qu’on peut raconter des trucs énormes sans gros moyens. Et puis j’aime prendre des risques parce que ça m’empêche de tomber dans la routine. »

Et la routine, il en connait quelque chose. Collaborateur de Roba à ses débuts dans la bande dessinée, Laurent Verron a eu la surprise de recevoir l’appel de l’illustre créateur de Boule et Bill au début des années 2000. Le créateur lui a offert de prendre sa suite afin que la série se poursuive.

« Comme il me l’a demandé en personne, que je sentais sa confiance, j’ai accepté. Mais si ça n’avait pas été si personnel, je ne pense pas que j’aurais accepté. Oui, il y a la sécurité, matériellement je vis mieux maintenant, mais ça n’a pas été déterminant dans mon choix. »

Il faut dire que l’espace créatif est restreint quand on reprend ainsi le travail d’un autre. S’il faisait du Roba pur au début, au fil des années Laurent Verron s’est mis à jouer sur les détails. « Les animaux sont des animaux Verron, pas Roba. Je peux aussi jouer sur les détails des jeans, etc., mais les changements doivent être très minimes, le public doit reconnaitre les personnages qu’il aime. » Avec les deux scénaristes, il essaie toutefois d’élargir le cadre, emmenant entre autres Boule et Bill en voyage. Cette volonté de travailler hors des cases le suit d’ailleurs dans l’album qu’il a accepté de faire dans la collection « Spirou par… » puisqu’avec le scénariste avec lequel il travaille, ils raconteront une aventure du véritable groom qui a inspiré Spirou. Avant d’être dessinateur de BD, Rob-Vel était stewart sur les transatlantiques dans les années ‘20. Il faisait le trajet Le Havre-New York et avait des grooms qui travaillaient sous ses ordres. Il en a rencontré un, entre autres, roux, pas très grand, mais débrouillard, et 10 ans plus tard, quand Dupuis lui a demandé de créer Spirou, il s’est inspiré de ce groom. La liberté est donc totale puisque le travail ne portera pas sur Spirou lui-même.

Quand on le questionne sur cette notion de liberté, Laurent Verron admet qu’il commence à songer à faire ses propres histoires pour aborder des thèmes qui lui tiennent à cœur. « J’ai commencé à noter des idées, mais j’ai le trac. Suis-je capable d’écrire des histoires qui pourraient intéresser des gens? » Plus il avance dans son travail et plus tout le passionne dans la bande dessinée. Avant c’était le dessin qui prenait toute la place, les expressions et les décors, mais il se penche maintenant beaucoup plus sur la narration, le découpage, la façon de raconter en images et que ce soit fluide, que la lecture soit facile tout en étant profonde. Tout est donc en place pour un futur album 100 % Verron, avec des animaux, toujours, puisqu’il a cette envie de parler de la protection de la nature, des espèces en voie de disparition, mais avec une histoire humaine à l’avant-plan. À suivre…

En attendant, je vous conseille fortement de découvrir Fugitifs sur Terra II, une série en quatre tomes remplie de rebondissements et tout à fait dans le ton à la mode cette année, avec une dystopie et des questionnements sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi un humour très présent, tant dans le texte que dans les dessins. Et puis comme elle est terminée, on peut dévorer la série en entier d’un seul coup, un avantage non négligeable !