Comme de nombreux autres lecteurs, je me suis précipitée sur le tome II de la série Animale dès sa sortie en librairie, ayant hâte de retrouver la plume et l'imaginaire de Victor Dixen. De nouveau ravie par l'histoire, j'ai eu envie d'en connaître un peu plus à propos de sa création et de son créateur. Voici l'entrevue que Victor Dixen m'a accordée !
Les contes ont toujours fait partie de mon imaginaire, d’abord de lecteur, puis d’auteur. Ils me fascinent par leur apparente simplicité de surface, qui recouvre toujours une profondeur de sens – pour ne pas dire un abysse, car on n’en touche jamais le fond.
Ce sont également des histoires immortelles, qui peuvent ressusciter sous un nombre de formes infini. Leur étonnante plasticité en fait un matériau littéraire passionnant à mes yeux.
Quant au choix des contes que j’utilise dans mes romans… Dans Le Cas Jack Spark, j’ai voulu revenir à la matière des contes français classiques, en l’occurrence ceux de Charles Perrault, pour les projeter dans le paysage où s’écrivent les contes de notre époque : la modernité américaine, terre de tous les possibles.
L’inspiration pour Animale, La Malédiction de Boucle d’Or, m’est venue d’un rêve. Une chaumière m'est apparue, au fond d'une forêt profonde, dont je m'approchais sans jamais réussir à l'atteindre. Quand je me suis réveillé, j'ai aussitôt fait le lien avec le conte de Boucle d'Or que j'avais entendu étant enfant, mais auquel je n'avais pas repensé depuis des années. Je me le suis procuré, je l'ai lu, et je me suis rendu compte qu'il posait énormément de questions. Ce n'est vraiment pas un conte comme les autres, avec une fin fermée, une boucle bouclée. Ici, tout reste en suspens. Découverte par les occupants de la chaumière, Boucle d'Or se réveille en sursaut et s'enfuit par la fenêtre... et après ? Le conte ne le dit pas. Démêler le destin de la mystérieuse égarée est devenu pour moi une mission, une croisade. Il fallait que je retrouve sa trace. Que je la sorte de l'oubli. C'est ainsi qu'est née Animale.
Cette enquête menée au fil du premier tome d’Animale m’a ensuite donné envie d’en mener une autre, et de m’attaquer à l’un des contes qui me fascine le plus depuis l’enfance : La Reine des neiges. Étant moitié danois par mon père, j’ai baigné dans les contes d’Andersen, et celui-ci en particulier m’a toujours impressionné. Sans doute parce que je ne parvenais pas à cerner le visage de cette reine mystérieuse et terrible, à la fois allégorique et réelle, belle et monstrueuse. Après Boucle d’Or, j’ai décidé de me lancer à sa recherche ; pour découvrir, enfin, après toutes ces années, son visage…
Oui, et c’est pour cela que c’est intéressant, comme tout projet littéraire il me semble : sans prise de risque, il y a moins d’intérêt pour l’auteur comme pour le lecteur.
Les contes sont un matériau tellement puissant, tellement ancré dans l’imaginaire – aussi bien celui des lecteurs que le mien – qu’ils ont tendance à phagocyter les tentatives de les réinterpréter ou de les intégrer à une œuvre neuve. Les manier représente le danger d’être juste dans le commentaire, ou dans le pastiche. C’est comme dans une recette, un ingrédient qui aurait une saveur très puissante, éclipsant toutes les autres. Alors, il faut doser. Contrebalancer la recette avec d’autres ingrédients tout aussi puissants, et inattendus. Dans le cadre de la série Animale, il s’agit d’une part de la grande Histoire, avec ses dates, ses événements, ses personnages ayant réellement existé ; et d’autre part, de la mythologie nordique, des sagas vikings, la source oubliée mais non tarie d’une partie de notre culture.
Le choix des années 1830 pour situer Animale m’a été directement dicté par l’enquête que j’ai menée. Je me suis rendu compte que l’histoire de Boucle d’Or avait été couchée sur le papier pour la première fois à cette époque, par l’écrivain britannique Robert Southey. J’ai plongé corps et âme dans cette époque encore hantée par le spectre des guerres napoléoniennes, ça m’a donné la possibilité jubilatoire d’écrire un roman en partie épistolaire et de puiser dans les codes du roman gothique, qui a culminé à cette époque et que j’aime tant.
Entre l’idée d’un livre et l’écriture de la première phrase, je passe par un an de travail préparatoire consistant en recherches documentaires et construction dramatique. C’est, pour ainsi dire, le canevas du roman à venir. Mais lorsque je mets à écrire, lorsque les personnages prennent enfin vie et voix, ils m’échappent fatalement et m’entraînent dans des territoires que je n’avais pas imaginés en amont de l’écriture…
Les deux ! Je suis d’abord sculpteur, seul maître à bord, puis membre d’un équipage ;-)
J’écris toujours la nuit, quand tout le monde ou presque dort. Au cœur du grand silence, il n’y a plus que mon histoire qui existe, et en tendant bien l’oreille il me semble entende les voix de mes personnages.
En revanche, lorsque je m’accorde des pauses d’écriture, je mets mes écouteurs et j’écoute de la musique qui me recharge en énergie créative. Pour le tome 1 d’Animale, intime et secret, j’écoutais ainsi de la musique de chambre romantique – et notamment la fameuse Lettre à Élise de Beethoven, en écho aux lettres de Gabrielle de Brances. Pour le tome 2, les deux morceaux que j’ai le plus écoutés sont la reprise de la chanson populaire Saint-Lazare par Véronique Sanson (en référence à la prison pour femmes où Blonde fait un long séjour), et l’opéra Le Crépuscule des dieux de Wagner (qui puise aux sources de la mythologie germano-nordique, et annonce le Grand Hiver, horizon vers lequel se précipite tout le roman).
Oui, au sens où La Malédiction de Boucle d’Or est née d’un rêve, et que sa rédaction m’a appris une méthode d’enquête littéraire que j’ai ensuite appliquée au conte de La Reine des neiges.
Ce n’est pas moi qui l’ai quittée, mais elle qui a pris sa liberté. Elle continue de vivre une fois la dernière page écrite, une fois le livre refermé, j’en ai la conviction. Et peut-être qu’un jour, nos chemins se croiseront à nouveau ?
Non : j’ai écrit Phobos après le deuxième volet d’Animale, même si le jeu des calendriers éditoriaux a abouti à une publication rapprochée des deux ouvrages.
En tant qu’auteur, j’aime essayer de me réinventer à chaque nouveau projet, cela fait partie de mon plaisir d'écriture : me surprendre, et essayer de surprendre les lecteurs. Certes Phobos, un thriller d’anticipation, est très différent d’une fantasy historique comme Animale, mais Animale était aussi différent de la fantasy urbaine à laquelle se rattache la série Le Cas Jack Spark.
En réalité, pour moi, tout vient du désir très fort de raconter une histoire. Et c’est le fond de chaque histoire qui me dicte la forme la plus adaptée pour la raconter. Alors, oui, une grande diversité de formes, mais des thèmes communs il me semble, qui me fascinent et m’interpellent : la question de l’identité, celle de la mémoire et celle de la nature du réel. Ces quelques fragments de verre se combinent infiniment, comme dans un kaléidoscope : ils ont pu donner Jack Spark, Animale, puis Phobos et, je l’espère, encore de nombreuses autres images.
Je me suis toujours intéressé à l’avenir, autant qu’au passé, et je suis un lecteur de science-fiction autant que de fantasy ou de classiques.
Les grandes questions qui se posent à nous en tant qu’êtres humains traversent les époques, même si les modalités changent. Nous avons toujours été préoccupés par l’image de soi, par la quête de gloire. Aujourd’hui, dans notre société d’écrans, de réseaux et d’instantanéité, cette quête atteint son paroxysme, à tel point qu’on peut y voir une forme de dictature : la dictature de l’image.
On est donc à la croisée de deux thèmes qui me touchent particulièrement : l’identité et la nature du réel, dans un roman qui relève finalement plus de l’anticipation que de la science-fiction lointaine – le monde dont parle Phobos, c’est déjà le nôtre.
En tant qu’auteur, je m’efforce de ne pas émettre de jugement explicite et unilatéral, ni sur mes personnages, ni sur les situations qu’ils rencontrent. C’est au lecteur de juger – et, oui, de réfléchir. Dans Phobos, il est à la fois acteur et spectateur ; du côté des passagers sacrifiés, de celui du public tenu en haleine, et de celui des organisateurs sans scrupules. Je donne à voir le tout : l’émission et ses coulisses, le champ et le contrechamp – et même le hors-champ.
Je fais confiance au lecteur pour prendre parti, et prendre position.
Ce que je préfère dans l’écriture, c’est sa capacité à se nourrir de tout, à digérer le réel pour produire une nouvelle vision du monde.
Ce que j’aime le moins dans l’écriture, c’est aussi sa capacité à se nourrir de tout ! Elle engloutit les heures et me laisse parfois trop peu de temps pour ceux qui me sont chers… Mais je lutte contre ça, j’ai des techniques pour passer la muselière sur le nez de l’écriture quand elle devient par trop dévorante !
Une grande joie. Et une envie tout aussi grande de me lancer dans une nouvelle aventure !
Je suis sensible à tout retour venant de celles et ceux qui me lisent, que ce soit dans un article de journal, dans un billet de blog ou lors d’une conversation dans un festival, car j’écris pour être lu. Mais il faut aussi savoir s’affranchir parfois du regard de l’autre. Lorsque je me mets à ma table d’écriture, j’oublie toutes les critiques bonnes ou mauvaises, et je me concentre sur une seule chose : mon histoire, celle qui me tient aux tripes.
Oui. Un boulimique d’histoires, de fiction, jamais rassasié.
Je n’ai pas souvenir d’intermédiation entre les livres et moi. Il me semble qu’ils ont toujours fait partir de ma vie, aussi loin que je me souvienne. En revanche je peux dire que deux professeurs de Français ont énormément compté dans la formation de mon goût littéraire : celui de 5ème, qui m’a donné le goût de la poésie et m’a montré le plaisir d’apprendre des textes par cœur jusqu`à ce qu’ils fassent partie de moi, ce que je fais encore aujourd’hui ; celui de 4ème, qui nous dispensait des cours de stylistique, matière souvent jugée désuète – bien à tort !
Toujours aussi boulimique ! J’ai la chance de dormir très peu, ce qui me donne de précieuses heures pour explorer les territoires infinis du livre. Jeunesse, Adulte, Science-Fiction, Fantasy, Littérature blanche, Biographie, Fiction historique, Essai… Quel plaisir de pouvoir goûter à tout cela !
Comme tant d’autres : Le seigneur des Anneaux et tout le corpus tolkienien, qui m’a certes marqué par sa dimension épique et par son étourdissante construction, mais aussi et surtout par sa poésie nostalgique. Ça reste pour moi l’un des grands textes sur le désenchantement du monde.
Adolescent, j’ai aussi été très impressionné par les œuvres de Lovecraft, Poe, Baudelaire et Huysmans, qui m’ont toutes montré que la frontière entre le rêve et la réalité est bien plus poreuse qu’on ne le prétend.
Il y en a trois : un dictionnaire, une chronologie de l’histoire du monde et un atlas.
Là où s’installent mes chats ;-)
À la Croisée des Mondes de Philip Pulman, magnifique fresque qui mêle avec brio les niveaux de lectures et les influences. Derrière celle de William Blake, il me semble aussi déceler la trace de Hans Christian Andersen – en tant que lecteur, comme en tant qu’auteur, je continue de mener l’enquête.
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J'aimerais bien aimer l'écriture de Victor Dixen... Lorsque j'aurai gagner, je pourrai vous confirmer que j'aime son écriture.