Actuellement, les séries sont presque la norme et les médiateurs sont heureux de croiser de temps à autre des livres qu’on dit « one-shot » parce qu’ils proposent une intrigue qui est complètement bouclée. Cela n’a pas toujours été le cas et, si les séries ont plusieurs avantages pour les lecteurs, leur permettant entre autres de s’attacher davantage aux personnages et d’approfondir leur connaissance du monde mis en place, c’est d’abord et avant tout les intérêts financiers des éditeurs qui ont fait que les séries occupent une telle place aujourd’hui.
« La production pour les jeunes adultes a aussi tiré parti de la forme cyclique avec des personnages qui évoluent beaucoup plus, mimant les transformations que vit le lecteur. Dans Le club des 5, les enfants vont toujours en vacances au même endroit et rencontrent des brigands chaque fois, ce dont personne ne s’étonne. La structure est toujours la même, alors que dans des titres comme Hunger Games, Divergence ou Le Labyrinthe, une progression s’opère entre les tomes, » indique Matthieu Letourneux, professeur de littérature française et spécialiste des cultures sérielles, dans l’entrevue accordée à Lecture Jeune.
Les deux modèles de série cohabitent actuellement, mais le premier est moins fréquent. Il y a bien la série Juliette de Rose-Line Brasset présentant une héroïne qui progresse, oui, mais à l’intérieur de romans qui gardent la même structure et peuvent être lus dans le désordre, et U4, où quatre héros se trouvent dans le même univers, mais à des endroits différents, chacun essayant de survivre à la loi du plus fort. Toutefois, la majorité des séries offertes demandent une lecture chronologique.
Matthieu Létourneux dit aussi que « les cycles inscrits dans le temps et offrant une évolution des personnages découlent d’une transformation médiatique qui ne vient pas de la littérature, mais de la série télévisée. »
Il est vrai que dans le domaine télévisuel, on est davantage dans une logique de séries qui s’étirent sur plusieurs saisons, qu’on peut déguster lentement ou en rafale et il en va de même pour les livres. Certains lecteurs attendent d’ailleurs qu’une série soit complétée avant de s’y lancer pour éviter l’horrible et inévitable attente entre les tomes (certains auteurs étant aussi particulièrement doués pour créer un suspens intenable en fin de récit). D’autres encore lisent le premier en français, mais passent ensuite à la version originale anglaise, si elle existe, parce qu’ils ont trop hâte pour attendre la traduction. On pourrait croire que les éditeurs seraient tentés de jouer au Netflix de l’édition et de tout publier en même temps, mais c’est quasiment impossible dans la réalité actuelle, car les coûts engendrés sont trop grands quand on ignore l’accueil qui sera fait à une nouvelle série. Si certains auteurs semblent être des valeurs sûres, pensons à James Dashner qui, après Labyrinthe, publie Le jeu du maître ce printemps, ou encore à India Desjardins qui recevrait un accueil royal si elle décidait de publier une nouvelle série pour adolescents, l’accueil de la majorité des livres parus reste imprévisible. Nathan et Syros ont testé le concept de la série entière sur les rayons avec U4 l’automne dernier et l’accueil a été très favorable, mais la série était alors écrite par quatre auteurs différents et a pu compter sur leur bassin de fans respectifs en plus de profiter d’un investissement marketing assez important, avec présentoirs dans les librairies et grandes affiches publicitaires, notamment dans le métro de Paris. Néanmoins, de plus en plus d’éditeurs poussent les auteurs de série à sortir deux tomes par année afin de nourrir plus rapidement les lecteurs… et d’éviter qu’ils oublient.
En effet, devant la pluralité de l’offre, le lecteur en attente a des chances de se tourner vers un autre univers… et de ne pas revenir au premier. Si certaines séries deviennent des « marques » sortant de l’univers du livre pour devenir film, série télé ou produit dérivé, permettant aux lecteurs de rester longtemps dans le décor mis en place (on pense à Harry Potter, qui a démontré tout le potentiel du transmédia auprès des ados, et Hunger Games, mais aussi à Léa Olivier) ce n’est pas la norme. Parfois, recommencer une série après un long moment peut être difficile, notamment quand il y a beaucoup de personnages, comme dans Les disparus du Clair de lune, tome 2 de la série Passe-Miroir, mettant en scène une très large galerie de personnages, ou Half Bad, univers bien particulier où il est très important de savoir qui est dans quel camp, ce qui est ardu quand on doit attendre un an entre chaque titre. (C’est pourquoi les lecteurs aimeraient bien parfois qu’il y ait un résumé des tomes précédents au départ et, comme dans La Cache, série dystopique de Sandra Dussault, une présentation des personnages!)
Par ailleurs, le monde des séries est cruel et si l’une d’elles n’a pas de ventes suffisantes, elle peut être arrêtée. C’est moins fréquent que pour les séries télé, mais tout à fait possible. Par exemple, le tome 3 de la série L’Élite chez Milan a bien failli ne jamais voir le jour, tout comme le sixième tome d’Averia, série de science-fiction de Patrice Cazeault. Encore une fois, le lecteur est avantagé s’il lit une traduction, ayant encore une chance de connaitre le dénouement, mais dans le cas où c’est la parution originale, il doit parfois dire au revoir à un héros avant de connaitre sa destinée. Heureusement toutefois, le numérique change la donne et les auteurs peuvent vouloir donner une fin satisfaisante aux fans, ce qui est entre autres le cas de Magali Laurent, qui a publié à compte d’auteur le troisième tome de sa série Billy (qui vaut d’ailleurs vraiment la peine d’être connue!) quand les éditions de la Bagnole ont décidé d’arrêter la production après le tome deux.
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Un article intéressant :) Etonnée d'apprendre que L'élite 3 a failli ne pas sortir ! Ouf car elle est géniale cette trilogie.