Entrevue avec Sandra Dussault

 
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8 août 2012

Course, amour et raviolis... Un titre que j'ai croisé en librairie et que j'ai eu envie de lire tout de suite, comme si quelque chose dans sa couverture, quelque chose dans son résumé aussi, m'interpelait particulièrement. Et j'ai bien fait de me laisser tenter parce que cette histoire m'a plu du début à la fin! Il est rare que des romans pour adolescents mettent en scène des jeunes atteint de TDAH et Sandra Dussault le fait ici avec une grande authenticité et une belle originalité. Cette Mirabella m'a semblé prendre vie entre les pages et j'ai eu envie d'en apprendre un peu plus sur son auteure. Entrevue, donc, avec Sandra Dussault! 

Il y a des thématiques fortes dans chacun de vos romans, l’abus parental et les familles d’accueil dans Daphné, enfin libre, le TDAH et la dépression dans Course, amour et raviolis. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire autour de thématiques aussi fortes et dramatiques?

Les histoires joyeuses ne m’intéressent pas, il faut que mes personnages en arrachent un peu pour que j’aie envie d’écrire sur eux. Mais je ne suis pas la seule : dans les grands classiques de la littérature jeunesse, tous les héros sont soit orphelins (David Copperfield, Tom Sawyer, Sans famille), soit maltraités (Les malheurs de Sophie, Poil de carotte) soit perdus (Sa majesté des mouches, Le royaume de Kensuké) ou les trois à la fois !

Les thèmes que j’aborde font malheureusement partie de la réalité de beaucoup de jeunes. Des enfants « puckés », j’en vois tous les jours et mes histoires s’inspirent de certains d’entre eux.

Donc la réalité vous inspire pour bâtir vos personnages et vos univers?

Oui, j’observe beaucoup les gens. J’invente constamment des histoires dans ma tête.

Dans ce cas-ci, comment est née Mirabella? Avez-vous rencontré des adolescentes aux prises avec un TDAH pour comprendre leur façon de vivre, de penser, de réagir?

Des filles, non, c’est plus rare. Mais j’ai connu plusieurs garçons hyperactifs qui avaient de la difficulté à socialiser, qui se faisaient souvent rejeter parce qu’ils n’arrivaient pas à gérer leur colère, leurs mouvements, même leur joie... Mirabella est un personnage inventé, mais elle n’est pas si loin de la réalité!

Sa famille est particulièrement haute en couleur. D’où est venue l’idée de créer cette famille italienne? Comment les personnalités se sont-elles construites?

Pendant l’écriture de « Course, amour et raviolis », j’hébergeais chez moi un couple d’amis et leurs quatre enfants. Pendant six mois, mon fils et moi avons vécu dans le brouhaha et la « folie » d’une grosse famille où chacun doit un peu se battre pour se faire une place... Je me suis largement inspirée de cette expérience pour dépeindre la famille Fabrini. D’ailleurs, la scène où chacun tente de deviner lequel des schtroumpfs se trouve sur le verre d’Enzo se répétait à chaque repas pendant cette période.

Il est aussi question de sexualité dans votre roman. Est-ce que vous vous êtes censurée dans certaines scènes étant donné le public adolescent visé? Est-ce important pour vous que les ados puissent lire ce genre d’expérience?

Oui c’est important ! Les ados sont très au courant à ce sujet, ils ont vu des tas de films renfermant des scènes d’amour. À 15-16 ans, on y pense, on en parle, on en rêve ou on le « fait », alors pourquoi n’en parler qu’à mots couverts dans les romans s’adressant à eux, comme si c’était encore quelque chose de tabou ? Dans « Course, amour et raviolis », Mirabella expérimente pour la première fois et décrit ce qui lui arrive avec des mots vrais et beaucoup d’humour. J’ai voulu qu’on « entende » ce qu’elle pensait : ses doutes et ses craintes, ses réactions. J’ai voulu que ça soit le plus vrai possible.

Est-ce difficile de représenter les adolescents afin qu’ils soient réalistes? Est-ce que vous en avez dans votre entourage? Ont-ils lu le roman?

Je n’ai pas d’ados dans mon entourage immédiat, par contre j’ai un souvenir encore très présent de ma propre adolescence. Dans ma tête, je n’en suis pas totalement encore sortie...

Faites-vous de la recherche avant de vous lancer dans l’écriture d’un roman? Un plan?

Pour « Daphné enfin libre » j’ai beaucoup fouillé sur le Net pour en apprendre davantage sur le monde du skateboard. C’est quelque chose qui m’attirait déjà au départ alors regarder des vidéos de Rodney Mullen sur YouTube n’a pas été trop pénible ! Toutefois, je n’ai pas de plan établi, j’écris mes romans au fur et à mesure. J’ai une idée générale de ce que je veux raconter, certaines scènes sont écrites depuis longtemps, mais l’histoire dévie souvent de ce qui était prévu au départ, alors je préfère ne pas trop planifier.

Est-ce qu’il arrive que certains de vos personnages vous surprennent en cours d’écriture? Est-ce arrivé dans Course, amour et raviolis?

Oui, bien sûr ! Au départ, le Capitaine William devait être beaucoup moins attirant pour Mirabella. J’en avais une image très caricaturale, un peu comme le capitaine de l’équipe de football dans la plupart des films américains pour ados : arrogant, sûr de lui, méchant avec les plus faibles, mais toujours entouré de sa bande de suiveux. En cours d’écriture, William est devenu plus sensible, plus sympathique, enfin, pendant un certain temps...

Depuis quand avez-vous cette passion pour l’écriture? Comment l’écrivaine a-t-elle grandi en vous?

J’écris depuis l’adolescence. J’ai encore des débuts d’histoires, commencées quand j’avais 15 ans, mais jamais achevées. Je ne montrais pas ce que j’écrivais et je finissais toujours par laisser tomber après quelques pages. Jusqu’au jour où j’ai eu beaucoup de temps libre (chômage oblige) et que j’ai mené une de mes histoires jusqu’ à une dizaine de chapitres. Je la trouvais bonne et j’ai eu envie de la montrer.

Qu’aimez-vous le plus dans l’écriture? Qu’aimez-vous le moins?

J’aime écrire la première version, celle où tout se crée. Pendant cette période, je dois être seule, tranquille devant mon écran, plongée jusqu’au cou dans mon histoire. J’y pense jour et nuit, je prends des notes dans un cahier à spirale, j’ai des Post-it collés sur mon bureau... c’est assez intense ! Évidemment, ce que j’aime moins, c’est la re-re-re-lecture et la correction. On finit par ne plus rien voir et ne plus savoir comment améliorer telle phrase, tel bout de l’histoire. C’est ennuyant et puis on veut faire plaisir à nos lecteurs et répondre aux exigences de l’éditeur, sans trop changer notre idée de base. On se sent tiraillé.

Quelles sont les libertés que permet la littérature jeunesse selon vous?

Liberté... pas tant que ça. Les éditeurs sont frileux et ne veulent surtout pas choquer les parents et les enseignants qui utiliseront mes romans en classe. Il faut soigner le langage, faire attention à ce que  mes personnages vont dire ou faire... Personnellement, je crois que les ados voient, entendent et vivent des choses qui dépassent largement ce qu’on me permet d’écrire dans mes romans. Il n’y a qu’à aller faire un tour dans la cour d’une école secondaire pour le comprendre.

Anecdote !

Lorsque j’ai écrit « Course, amour et raviolis », je savais ce que mon éditeur allait accepter, je n’ai donc presque pas eu de modifications à faire à l’histoire. Pour  « Daphné, enfin libre » toutefois, j’ai dû assagir un personnage pour lequel je ne m’étais imposé aucune censure. Je le voyais coloré, flamboyant, qui se fout des conventions et qui cherche volontairement  à choquer les adultes autour de lui. C’est dommage, je l’aimais bien ! Il me faisait penser à des ados que j’ai connus et que j’admirais pour leur petit côté anarchique.

Rafale lecture !

Enfant, étiez-vous une grande lectrice?

Oui, je lisais beaucoup.

Qui vous a donné le goût de lire? 

Mes parents lisaient et lisent encore beaucoup. Il y a toujours eu des livres à la maison et on allait souvent à la bibliothèque municipale de mon village qui malheureusement ne possédait qu’une minuscule section de livres pour enfants.

Êtes-vous aujourd’hui une grande lectrice? Que lisez-vous?

Je lis beaucoup (mon chum dirait « énormément ») de littérature jeunesse. D’ailleurs, Sophie Lit est ma référence principale dans mes choix de lecture !

Quel mot décrit le mieux votre relation avec les livres? Pouvez-vous nous expliquer ce lien?

Compulsion. J’ai besoin d’avoir plusieurs livres de disponibles. J’ai toujours quatre à cinq commandes en attente à la bibliothèque municipale et j’ai des titres en réserve dans un fichier de mon ordinateur, avec le nom de  l’auteur et la maison d’édition, au cas où je serais en panne d’inspiration. Me retrouver sans lecture, ça me déstabilise.

Quel est votre livre préféré?

Mes livres préférés sont : Marius, Fanny et César de Marcel Pagnol. C’est du théâtre, mais qui se lit comme un roman.

Quel roman a marqué votre adolescence?

« Christophe » d’Irina Korschunow. Je ne connais personne qui l’ait lu. C’est un petit roman de la collection Travelling chez LIDEC (Duculot ?), publié en 1980 ! C’est une histoire sombre et triste qui m’a fait réfléchir sur le sens que chacun peut donner à sa vie.

Je l’ai lu en secondaire 2 ou 3, je ne me souviens plus exactement et il m’a hantée pendant longtemps. Tellement, qu’à chaque fois que j’allais dans une librairie de livres usagés, je le cherchais, mine de rien. Je l’ai retrouvé bien plus tard, sur les rayons d’une classe de 3e année, oublié, mis de côté. Je dois me confesser : je l’ai pris. Je l’ai toujours.

Quel est le livre sur votre table de chevet?

Jamais le même. Souvent plusieurs.

Dans quel endroit préférez-vous lire?

Mon lit !

Avez-vous une suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé Course, amour et raviolis?

UNE suggestion ? Impossible ! J’irai plutôt avec quelques-uns de mes nombreux coups de cœur:

- Maintenant c'est ma vie de Meg Rosoff

- Je veux vivre de Jenny Downham

- Soldat Peaceful de Michael Morpurgo

- L'Attrape cœurs de JD Salinger

- Combat d’hiver de Jean-Claude Mourlevat

- L'air bête de Josée Pelletier

- La cagoule de François Gravel

- La série Pavel de Matthieu Simard

- Ophélie de Charlotte Gingras

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